Page:Jaurès - Histoire socialiste, IV.djvu/94

Cette page a été validée par deux contributeurs.

conjurer ; mais il y a dans l’Assemblée des hommes cruels et inflexibles, et ces moyens ont été sans fruit. »

Et il ajoute :

« Pitt ne pouvait pas être assez ennemi de ses amis pour dire en termes exprès : J’ai réussi à corrompre la Convention. Mais si nous traduisons en style familier ce langage ministériel et diplomatique, n’est-ce pas dire clairement : « Vous ne me demanderez pas, Messieurs, compte des dépenses secrètes… Dundas et moi n’y avons pas épargné nos guinées, et tout ce qu’il y a d’honnêtes gens dans la Convention en a rempli ses poches. On trouve ces messieurs, comme dit Sainte-Foy, tout autres dans le tête-à-tête que dans l’Assemblée, et s’ils sont trop avancés pour ne pas le condamner à mort, du moins voteront-ils pour l’appel au peuple, ce qui fait encore bien mieux nos affaires. »

Et Desmoulins enflait soudain ce flot de corruption, cette marée de l’or étranger jusqu’à submerger toute la France.

« Je frémis quand, venant à réfléchir à cette urgence pour les tyrans de bouleverser la République, songeant à la corruption de nos mœurs et à notre égoïsme, je crois voir rôder tous ces tyrans et leurs agents de corruption dans nos villes maritimes, influencer dans les sociétés des Jacobins, dans nos armées, dans nos murs, et surtout dans la Convention, partout y acheter à tout prix tout ce qui n’est pas incorruptible, s’adresser tour à tour au royalisme, à la cupidité, à la peur, au fanatisme, à l’amour-propre, à la jalousie, à la haine, au patriotisme même qu’ils égarent, et liguer, coaliser tous ces intérêts, toutes ces passions contre notre patrie !

« Combien vous faut-il, vous, pour empêcher que tous les rois ne soient condamnés à l’échafaud et effigiés dans un seul, pour faire des efforts pour le roi en attendant que vous puissiez faire des vœux pour la royauté ? Et vous, pour calomnier la ville à un million d’yeux, en face de qui il vous sera à jamais impossible de faire une Constitution aristocratique ?… Et vous, pour faire fleurir votre département et transférer la Convention à Bordeaux ?… et vous, juges pusillanimes qui avez devant les yeux la fin tragique des juges de Charles Ier combien voulez-vous pour vous guérir de la peur, pour vous décharger de la responsabilité par l’appel au peuple, et dans tous les cas, nous ménager une retraite à Londres, en secondant Pitt à obtenir cet appel ? Et vous, hypocrites d’une philosophie à contre-temps et désorganisatrice, que voulez-vous pour mettre dans vos intérêts les hypocrites de religion en parlant de supprimer le traitement des prêtres constitutionnels, et en les poussant à agiter, non pas le peuple des villes, mais celui des campagnes, non pas le peuple des sections, mais celui des paroisses, et à ajouter à la fermentation, en lui disant que l’Assemblée nationale, qui n’a encore rien fait pour eux, puisqu’ils sont également grevés des impôts, veut leur ôter les espérances de la religion lorsqu’ils n’ont plus encore que ces espérances ?… Et