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fait que se creuser un tombeau. La Révolution nous conduit à reconnaître ce principe que celui qui s’est montré l’ennemi de son pays n’y peut être propriétaire. Il faut encore quelques coups de génie pour nous sauver.

« Serait-ce donc pour ménager des jouissances à ses tyrans que le peuple verse son sang sur les frontières, et que toutes les familles portent le deuil de leurs enfants ? Vous reconnaîtrez ce principe que celui-là seul a des droits dans notre patrie qui a coopéré à l’affranchir. Abolissez la mendicité qui déshonore un État libre ; les propriétés des patriotes sont sacrées, mais les biens des conspirateurs sont là pour tous les malheureux. Les malheureux sont les puissances de la terre ; ils ont le droit de parler en maîtres aux gouvernements qui les négligent. »

C’était offrir au peuple révolutionnaire une immense proie. Mais c’était mieux que cela. C’était donner à la propriété un nouveau fondement juridique. C’était créer un titre de propriété que tous les citoyens pouvaient conquérir par l’exercice vigoureux de l’action politique et nationale. C’était annoncer une révolution de l’état civil analogue et harmonique à l’autre.

« Il s’est fait une révolution dans le gouvernement ; elle n’a point pénétré dans l’état civil. Le gouvernement repose sur la liberté ; l’état civil sur l’aristocratie, qui forme un rang intermédiaire d’ennemis de la liberté entre le peuple et vous. Pouvez-vous rester loin du peuple, votre unique ami ?

« …Osez : ce mot renferme toute la politique de notre révolution. »

L’effet produit fut immense ; et ce fut bien, pour reprendre l’expression de Saint-Just lui-même, un coup de génie. Le peuple eut un tressaillement. Non, la Révolution ne fléchit pas. Non, la Convention ne veut pas endormir les énergies et fermer l’avenir. Non, le Comité de Salut public ne s’est pas laissé envahir par l’orgueil du gouvernement. Il veut rester avec le peuple. Il veut faire tomber les barrières que la propriété oligarchique et contre-révolutionnaire élève entre les représentants de la nation et la nation, entre le gouvernement de la Révolution et la force de la Révolution. Comme si un obstacle de glace se fondait, le fleuve reprenait son cours. Le soir, aux Jacobins, Collot d’Herbois triompha :

« La Montagne ne fléchit pas : elle reste toujours le sommet révolutionnaire. »

Les Cordeliers aussi vinrent fraterniser abondamment, non sans une certaine complaisance pour eux-mêmes. Les malentendus se dissipaient, mais n’était-ce point leur politique qui l’emportait ? Le Comité de Salut public n’entrait-il pas dans leur orbite ? C’était l’impression première, dans la surprise et la joie du coup d’audace de Robespierre et de Saint-Just, dans l’éblouissement des vastes perspectives sociales qui s’offraient à la Révolution renouvelée. Pourtant si les hébertistes avaient réfléchi, ils n’auraient pas ainsi abondé en propos de victoire. Je sais que dans le rapport de Saint-Just il n’y