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si ce que vous appelez le Marais était menacé par vous, le Marais ferait alliance, pour se sauver, avec la faction des indulgents ; et vous auriez fortifié celle-ci que vous prétendez vouloir détruire. »

Et il fit exclure des Jacobins Saintex et Brichet, « monsieur Brichet », comme dit âprement Robespierre, sans doute pour répondre aux hébertistes qui affectaient de l’appeler, lui, « monsieur Robespierre ». En vain, Brichet protesta contre « le despotisme d’opinion ».

Toutes les fois que Robespierre prenait une de ces vigoureuses offensives qu’il préparait par une tactique patiente et souple, les Jacobins se retrouvaient avec lui. Mais l’exagération des Cordeliers redoubla ; et Mallet nous apprend que le lendemain « Paris fut tapissé de placards inflammatoires contre Robespierre, où on le dénonçait sous le caractère d’un tyran. À aucune période de sa faveur il n’avait essuyé une bourrasque si publique, indice de sa décadence dans l’opinion, à la fin de janvier ».

La mise en liberté de Ronsin, de Vincent et de Maillard, contre lesquels le Comité de Sûreté générale déclare ne point trouver de charges, loin d’apaiser l’hébertisme, l’exalte et l’enflamme. Il sait ou il croit qu’avec de l’audace il emportera tout. D’ailleurs, ni Grammont, ni Lapallu, ni bien d’autres agents violents de l’hébertisme ne sont relâchés.

Quand donc cessera l’oppression des patriotes ? Robespierre pressent un combat à mort. Et il prend position à la Convention par son discours du 5 février, dirigé à la fois contre le dantonisme et contre l’hébertisme, contre la faction des indulgents qui, en plein combat, demandent la protection sociale pour les ennemis de la patrie et assassinent les révolutionnaires de « leur douceur parricide », et contre « les faux révolutionnaires » qui déconcertent sans cesse par leur déclamation et leur fureur le travail utile, les mesures d’organisation et de salut, et qui paradant sans cesse « aimeraient mieux user cent bonnets rouges que de faire une bonne action ».

Dès lors, il est résolu à frapper des deux côtés à la fois ; il s’installe sur une hauteur âpre et d’où il pourra balayer tout l’horizon. Jamais il ne pourra atteindre la démagogie hébertiste s’il n’a pas rassuré tous les patriotes, tous les révolutionnaires contre la politique de défaillance traîtresse des indulgents. Et il déclare la guerre aux uns et aux autres. Mais que de sacrifices, que d’épreuves va imposer ce double combat !

Robespierre a le pressentiment aigu de son rôle terrible. C’est lui qui va être chargé de distribuer la mort à sa droite et à sa gauche. C’est lui qui va équilibrer l’échafaud ; il se sent devenir le centre de gravité de la guillotine, et, épuisé de travaux, de luttes, de soucis, malade des premières atteintes portées à sa popularité et des responsabilités qu’il assume, il sent ses forces défaillir. Après l’effort de son discours à la Convention, il est obligé de s’arrêter, et, à partir du 9 février jusqu’au 13 mars, il ne reparaît plus aux Jacobins. Il ne va pas non plus à la Convention. Couthon, dont la santé est dé-