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du peuple et que les patriotes chérissaient, leur a tourné tout à coup le dos, est entré en correspondance avec les sectionnaires contre-révolutionnaires et n’a cessé dans cette correspondance de jeter de la défaveur sur les meilleurs membres de la Société populaire, en plaisantant sur leur état et sur leur pauvreté ; chose bien propre à faire impression sur les bourgeois de Strasbourg qui n’ont de respect que pour la richesse, et qui ne mesurent le mérite d’un homme que par les affaires commerciales et l’ancienneté de la maison dans la ville impériale de Strasbourg… Mais il y a des remèdes à tous ces maux et il est encore temps de les appliquer. Mettez dans Strasbourg une garnison patriote ; chassez sans miséricorde tous ces gens suspects… Livrez à la vengeance des lois tous les intrigants qui ont maltraité les patriotes, et troublé les séances de la Société… Encouragez les Allemands patriotes qui peuvent éclairer le peuple par leurs discours et leurs écrits. »

Or, c’est précisément cette colonie révolutionnaire allemande qui était devenue, avec Schneider, maîtresse de Strasbourg ; et c’est son despotisme révolutionnaire que Saint-Just allait briser. Grand témoignage de l’effort de modération humaine tenté par Robespierre dans l’atroce déchaînement de la guerre civile. Ni les mitraillades de Lyon, ni les noyades de Nantes n’étaient de son goût. C’est à la suite des lettres du jeune Julien, le disciple vraiment aimé de Robespierre, que Carrier, en février, est rappelé de Nantes par le Comité de Salut public.

Cette œuvre de Robespierre était d’autant plus difficile et d’autant plus méritoire qu’il voulait épurer peu à peu le mouvement révolutionnaire de ses excès sans l’affaiblir. Il ne voulait pas, même quand l’énergie du peuple s’égarait, la décourager et la flétrir. Avertir les imprudents et frapper les fripons, mais ne pas anéantir l’élan nécessaire de la Révolution et du peuple, quel problème redoutable, peut-être insoluble, et qui en tous cas ne pouvait être résolu que par une extrême vigueur morale et une grande subtilité et sûreté d’esprit. Saint-Just disait : « Le peuple est comme Guillaume Tell : il faut qu’il touche la pomme sans blesser l’enfant, il faut qu’il se sauve sans se perdre. »

Pourquoi donc ceux que l’on appelle les dantonistes ne soutinrent-ils pas Robespierre ? Ce fut un malheur immense et une faute irréparable. Ou ils attaquèrent le Comité de Salut public par leurs intrigues, ou ils le compromirent de parti pris. Le refus obstiné de Danton d’entrer dans le Comité de Salut public créait une situation fausse dont les effets funestes allaient se développant. Il était ce que serait aujourd’hui un ministrable puissant qui refuserait le pouvoir. Il devenait, même malgré lui, le centre d’opposition. Même quand il paraissait soutenir le Comité de Salut public, ce concours éveillait des défiances. Danton demande en août que le Comité de Salut public soit le seul pouvoir, que les ministres ne soient que des commis. Il voulait sans doute créer l’unité du pouvoir révolutionnaire. Il reprenait sous une