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homme médiocre ; Jean Bon Saint-André lui parut un homme plus raisonnable ; on ne put convenir de rien, ni sur la manière dont le général se présenterait aux Jacobins, ni sur la conduite que ceux-ci tiendraient avec lui, étant gouvernés par l’affreux Marat ; il ne leur promit pas d’y aller, il n’assura pas qu’il n’irait pas. Au reste, il ne vit dans ces deux hommes sur l’affaire du roi, dont il n’osa traiter que légèrement pour ne pas nuire par trop d’empressement, qu’une rage grossière, digne des sauvages, qui s’exhalait en des termes les plus injurieux et les plus déplacés. Il reconnut alors qu’il n’avait rien à attendre d’eux. Quant au ministre de la guerre Pache, et aux bureaux de ce département, le général vit qu’ils étaient soutenus avec acharnement ; que les Jacobins, dont Desfieux se disait et pouvait bien être l’organe, les voulaient conserver en place, et désiraient que le général Dumouriez, abandonnant ses accusations contre eux, se joignit à leur faction, pour renverser Lebrun, Garat, Clavière, et surtout Roland, qu’ils regardaient comme les agents de la faction.

« Dès ce moment, il prit le parti de rompre ces conférences, et il le dit à Bonne-Carrère. Mais il sentit en même temps tout le danger qui en résulterait pour lui-même. »

L’entrevue n’est pas douteuse. Desfieux lui-même en fait implicitement mention aux Jacobins, dans la séance du 27 janvier, lorsqu’il dit, d’après un procès-verbal très sommaire « que Dumouriez serait très flatté de venir à la Société, mais qu’il craint d’y rencontrer Marat. Dumouriez lui a déclaré qu’il ne concevait pas pourquoi la Société n’avait pas chassé Marat. » Aussi, après l’entrevue de Bonne-Carrère, il n’y eut pas rupture. Bonne-Carrère était dès longtemps l’ami de Dumouriez. C’est lui, comme Buzot le rappellera le 6 avril, qui profitant de ses relations avec Foulon et avec la cour, aida Dumouriez à arriver au ministère ; et depuis, il était resté son agent à Paris. Visiblement, il s’employa, dans l’intérêt de la fortune de Dumouriez, à résoudre le conflit entre lui et les démocrates.

Jean Bon Saint-André avait attaqué à la Convention les fournisseurs Malus, d’Espagnac, dont Dumouriez s’était servi. Il y avait intérêt à le réconcilier avec Dumouriez et à ramener à celui-ci les Jacobins. Ils étaient une force, et ils sentaient que Dumouriez, encore éclatant de la gloire de Valmy et de Jemmapes et adoré de son armée, était aussi une force. Ne serait-il pas possible de le mettre dans le jeu de la Montagne ? Et si les Girondins réalisaient leur projet d’une garde départementale, s’ils appelaient en grand nombre à Paris leurs fédérés, Dumouriez ne serait-il pas aux mains des démocrates l’épée révolutionnaire ? Des rumeurs assez significatives avaient couru à ce sujet. Je lis dans une lettre de Gouverneur Morris à Jefferson datée, qu’on le remarque bien, du 21 décembre 1792, huit jours avant l’arrivée de Dumouriez à Paris : « Il y a quelque temps, les Jacobins avaient dépêché Bonne-Carrère pour faire des ouvertures à Dumouriez, dont la que-