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restaient éternellement des morts, et si vous, vous restiez éternellement des vivants. Ce n’est pas la barrière de l’éternité que vous allez jeter entre eux et vous ; c’est la barrière de la mort, et cette barrière-là, elle est aisée à franchir. Ô Chaumette, regardez celui qui préside, et dont le visage concentré et soucieux refoule je ne sais quel secret profond. Il vous aidera un jour à passer de l’autre côté de la mort. C’est à la création immédiate d’une armée révolutionnaire qui, lançant des colonnes de toutes parts, ira porter chez les accapareurs et les conspirateurs la mort ou l’épouvante, que Chaumette conclut.

La délégation jacobine demande la mise en jugement immédiate et la condamnation rapide des détenus girondins.

« Dans les places publiques, les républicains parlent avec indignation des forfaits de Brissot, ils ne prononcent son nom qu’avec horreur. On se rappelle que ce monstre a été vomi par l’Angleterre en 1789, pour troubler notre révolution et entraver sa marche. Nous demandons qu’il soit jugé, ainsi que ses complices.

« Le peuple s’indigne de voir encore des privilèges au milieu de la République. Quoi ! les Vergniaud, les Gensonné et autres scélérats, dégradés par leur trahison de la dignité de représentants, auraient pour prison un palais, tandis que de pauvres sans-culottes gémissent dans les cachots sous les poignards des fédéralistes…

« Il est temps que l’égalité promène la faux sur toutes les têtes. Il est temps d’épouvanter tous les conspirateurs. Eh bien ! législateurs, placez la terreur à l’ordre du jour. »

La formule était trouvée : elle fut couverte d’acclamations. Rassurez-vous, citoyen délégué ; vous aurez la tête de Brissot et celle de Vergniaud, et bien d’autres encore. Dans le panier de la guillotine, tous les jours rempli et vidé, il y aura place pour bien des têtes, et pour la vôtre aussi à l’aventure. Tous ces hommes, hélas ! qui, il y a quelques jours à peine, dans la fête auguste de la fédération, invoquaient la bienfaisante Nature et buvaient l’eau limpide à la coupe de la fraternité sainte, c’est le sang des hommes qu’ils vont boire à la coupe de la fureur et de la mort. Et ils sont restés les mêmes, et à travers l’atroce besogne de meurtre que leur suggère ou que leur impose le délire des événements, ils gardent leur grand rêve d’apaisement fraternel.

Que le destin fut cruel de vous gorger ainsi d’une amère saveur de sang, ô vous qui cherchiez la justice et qui aimiez l’humanité ! L’histoire a fait de vous des sacrificateurs, c’est-à-dire des suppliciés. Les révolutions sont la forme barbare du progrès. Si noble, si féconde, si nécessaire que soit une révolution, elle appartient toujours à l’époque inférieure et semi-bestiale de l’humanité, est-il permis d’entrevoir le jour où la forme du progrès humain sera vraiment humaine ?

Drouet avait scandalisé la Convention par une expression brutale :

« Soyons brigands pour le bonheur du peuple. »