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dans la proposition qui aurait sauvé Louis XVI, alors il vota pour la vie. »

Ici, la confusion est double. Michelet confond Danton avec Daunou, et, pour Daunou lui-même, il confond visiblement la séance du 14 avec la séance non pas du 9, mais du 7. Dans la séance du 14 comme dans la séance du 7, Cambacérès et Daunou avaient marché en effet parallèlement. Dans la séance du 14, Cambacérès proposa, lui aussi, un moyen d’ajournement, inédit celui-là et un peu imprévu. C’était un appel au peuple qui devait porter non plus sur la peine infligée à Louis, mais sur l’étendue du pouvoir de la Convention. Celle-ci devait demander à la nation : Me reconnaissez-vous le pouvoir de juger en dernier ressort ?

Et ici encore, ce doute sur soi-même et sur son propre droit révolutionnaire est à l’opposé de la pensée de Danton. Et dans la séance du 7, devenue, dans les notes évidemment hâtives et brouillées de Michelet, la séance du 9, laquelle d’ailleurs a l’air de faire double emploi avec la séance du 14, Daunou et Cambacérès remettent tous les deux à la Convention leur opinion écrite sur le procès du roi. Cambacérès conclut, comme il fera le 14, à une consultation nationale sur la compétence judiciaire de la Convention. Daunou concluait à bannir le roi après la guerre, à le détenir jusqu’à la paix, et il réservait en même temps à la Convention « le droit d’accuser Louis et de le faire juger pour sa conspiration personnelle. » Il n’y a pas de plus pitoyable chaos d’idées, et c’est dans ce guêpier politico-juridique que Michelet a égaré un moment le grand Danton.

Si j’ai insisté sur cet imbroglio au risque de suspendre par une discussion critique la marche du drame, c’est que l’erreur de Michelet, analogue à celle de Lamartine, contribue à fausser la physionomie morale et historique de Danton. À coup sûr, il n’avait point de haine, et il était capable de soumettre à la raison les entraînements les plus passionnés de sa nature véhémente. Mais il était avec la Révolution, il marchait et pensait avec elle, et il faut se garder de lui prêter, surtout à cette date, un système de sentimentalité et un parti pris de clémence qui le sépareraient des vives forces révolutionnaires. L’erreur de Michelet a des prolongements inquiétants. Cette attitude de Danton, qui contraste si nettement avec son attitude en septembre, et aussi avec l’attitude des dantonistes eux-mêmes, de Fabre d’Églantine, de David, de Basire, de Desmoulins pendant le procès du roi, il faut bien l’expliquer. Et c’est par le séjour de Danton à l’armée que Michelet l’explique :

« Danton apportait des pensées absolument différentes, celles de l’armée elle-même. Cette grande question de mort, que les politiques de club tranchaient si facilement, l’armée ne l’envisageait qu’avec une extrême réserve. Nulle insinuation ne put la décider à exprimer une opinion ou pour ou contre la mort du roi. Réserve pleine de bon sens. Elle n’avait nul élément pour résoudre une question si obscure. Elle croyait le roi coupable, mais elle