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comme des ennemis ordinaires, mais comme des assassins et des brigands rebelles.

« — Les rois, les aristocrates, les tyrans, quels qu’ils soient, sont des esclaves révoltés contre le souverain de la terre qui est le genre humain et contre le législateur de l’univers qui est la nature. »

Il n’est même pas jusqu’à son théisme qu’il n’atténue ici par une savante ambiguïté. Il avait, dans son préambule, pris Dieu à témoin : « La Convention nationale proclame à la face de l’univers et sous les yeux du législateur immortel, la déclaration suivante des droits de l’homme et du citoyen ». Et voilà que dans le dispositif interne du projet, ce « législateur immortel » devenait le « législateur de l’univers qui est la nature ». Dieu ? Nature ? On ne savait plus. Robespierre ou élimine ou atténue, à ce moment, tout ce qui pourrait créer un malentendu entre lui et les plus ardents révolutionnaires de la Commune et des sections. Un éclair de cosmopolitisme sans-culotte et de socialisme ouvre son horizon sur le vaste avenir inconnu. Mais bientôt, encerclé par les fatalités de la guerre extérieure, envahi par les fumées de la guerre civile, cet horizon va se resserrer et s’assombrir.

Ce qui attriste dès maintenant l’exposé de la pensée sociale de Robespierre, ce qui lui communique une sorte d’aridité, c’est le parti pris vertueux contre la richesse. Oui, elle a ses vices, mais la pauvreté aussi a les siens, même quand elle n’est pas ravalée jusqu’à la misère. Elle est souvent sordide d’esprit, routinière et étroite. Il est puéril d’opposer la chaumière de Fabricius au palais de Crassus. Le monde, quoi qu’on fasse, s’éblouit de la clarté des palais : il faut les élargir pour que toute l’humanité en ait l’orgueil. Certes, Robespierre ne veut pas proscrire l’opulence : mais il la dédaigne et il la méprise presque, comme si elle n’était pas la forme, d’abord nécessairement oligarchique, plus tard sociale, populaire et commune, de la puissance de l’homme sur les choses, le signe de sa maîtrise sur l’univers. Ce qui eût été grand et beau, c’eût été d’appeler au secours de la Révolution toutes les forces de production, d’art, de richesse, et de dire : « Les mesures que nous prendrons pour que tous les citoyens aient une part de ce bien-être croissant, de cette richesse humaine croissante, ajouteront à l’essor de la richesse bien loin de la contrarier. »

Vergniaud, le 10 mai, le jour même où la Convention prit possession pour ses séances du palais des Tuileries aménagé pour elle, traça le tableau magnifique des démocraties modernes, variées et complexes, obligées tout ensemble de se prémunir contre les tyrannies armées qui subsistent dans le monde et de faire jaillir, sans cesse plus abondante, l’activité de la paix, soucieuses de prévenir l’extrême inégalité des fortunes, mais ouvrant aux individus et à la société tout entière des perspectives de richesse et d’éclat. Oui, magnifique image de la démocratie encore bourgeoise, éclatant et nécessaire correctif de la sécheresse de l’idéal de Robespierre ; programme