enthousiasme ce qui paraîtrait lui promettre un meilleur sort. Mais dans l’ordre public, politique, c’est une belle chimère, et celui qui les propose ne peut être qu’un fourbe qui cherche à accaparer la faveur du peuple, ou un ignorant qui n’a jamais approfondi les effets de la civilisation. »
Donc, pas d’utopie réactionnaire, et pas de morcellement légal du sol. Mais comment, dans nos sociétés compliquées, essentiellement agricoles, mais marchandes et industrielles aussi, habituées aux raffinements du luxe, aux délicatesses de la vie, comment assurer, non pas un impossible nivellement, mais une suffisante égalité ? Billaud-Varennes propose deux grandes mesures, l’une plus particulièrement applicable à la propriété foncière, l’autre à toutes les formes de la richesse.
« Différentes opérations sont nécessaires pour atteindre ce résultat. La première est de déclarer que nul citoyen ne peut posséder désormais, dans un cercle déterminé par la Constitution, plus d’une quantité fixée d’arpents de terre. »
Cette loi n’aura pas seulement pour effet d’empêcher l’accumulation de la fortune et de l’influence territoriales. Elle assurera une meilleure exploitation du sol :
« Toujours, on distingue au premier coup d’œil le champ du laboureur de celui qu’on nomme le bourgeois, quoique travaillé pourtant par les mêmes bras. Dans les guérets du paysan, c’est une terre plus profondément fouillée. »
Évidemment, Billaud-Varennes est dominé à l’excès par l’idée que la fortune de la France est surtout territoriale : il ne parait pas prévoir l’influence oligarchique que pourront conquérir les capitalistes du commerce et de l’industrie, car pourquoi limiter la propriété foncière et ne pas limiter la propriété mobilière ? Il est vrai que l’essor de la production industrielle, qui suppose dans la société moderne l’accroissement indéfini des capitaux, serait beaucoup plus contrarié par cette limitation que ne le serait la production agricole par la limitation légale des surfaces possédées.
Billaud-Varennes ne voulait pas marquer une limite à l’accroissement total des fortunes, puisque le cultivateur qui aurait réalisé des bénéfices sur son domaine limité pouvait verser ces bénéfices dans des entreprises industrielles que la loi, dans son système, ne bornait pas. Le souvenir de la puissance sociale abusive des propriétaires fonciers d’ancien régime, la peur de livrer la subsistance même du peuple à une oligarchie de grands possédants, déterminaient, sans doute, Billaud-Varennes à soumettre la propriété agricole à un régime spécial. Mais voici que par une autre voie il ramène toute la fortune, mobilière et immobilière, sinon aux lois rigoureuses de l’égalité absolue, du moins à de sages proportions.
C’est par une conception hardie et par un emploi vraiment socialiste de l’héritage que Billaud-Varennes veut prévenir la trop grande inégalité de fortune et assurer à tous les citoyens un minimum de vie et d’indépendance.