tout travail, quelque générale que soit sa puissance d’éducation et d’instruction, a nécessairement une forme déterminée, il se matérialise en des objets déterminés, susceptibles de devenir marchandises ; et Lepelletier prévoit même que les enfants pourront aller travailler parfois, à titre d’essai et pour s’assouplir à des tâches variées et précises, dans la manufacture voisine. De là une certaine production qui atténuerait la dépense. Qu’est-ce à dire ? et que signifient ces détails, assez futiles, semble-t-il, sinon que Lepelletier s’emploie à convaincre la Convention qu’à tous les égards son plan est réalisable et qu’il s’accommode aux difficultés financières de la Révolution comme à cette part de préjugés qu’il n’est pas possible d’éliminer en un jour ? Il a donc cru, d’une foi très forte et très noble, qu’il apportait un plan de réalisation immédiate.
Et après tout, où est l’utopie ? et qu’y a-t-il donc de chimérique dans ce système ? Ce qui me frappe dans le plan de Lepelletier, c’est qu’il est au contraire le terme idéal vers lequel évolue l’organisation de l’enseignement dans la démocratie française. Certes, la République n’a pas réalisé, même dans la première période, l’internat commun à toutes les classes sociales. Même si l’on fait abstraction de la question de l’internat, très controversée, la démocratie française n’a pas encore confondu, dans un enseignement initial unique, les fils des bourgeois et les fils des prolétaires. Mais c’est vers le type de l’éducation commune que tout notre système se meut. D’abord, même avec l’externat, les enfants sont retenus ou à l’école ou au collège, non pas quelques heures seulement comme le disait Lepelletier pour le projet de Condorcet, mais toutes les heures du jour et tous les jours de la semaine. L’action de la communauté sociale sur les jeunes esprits est ainsi portée au plus haut. En second lieu, il apparaît de plus en plus au parti républicain que l’enseignement est, par essence, un service public, un service social, destiné à mettre tous les esprits en harmonie avec les conditions vitales des démocraties modernes. Enfin, l’effort pour identifier le premier cycle du programme des collèges et lycées fréquentés par la bourgeoisie avec le programme des écoles primaires fréquentées par le peuple ouvrier, tend à confondre, dans sa première phase, l’éducation ouvrière et l’éducation bourgeoise. Après la communauté du programme viendra naturellement la communauté d’établissement et de discipline. L’amélioration constante dans le régime et l’hygiène des écoles primaires atténuera peu à peu les résistances de la bourgeoisie à la cohabitation et à la fusion scolaire des deux classes. De même qu’elle est obligée maintenant d’accepter pour ses fils la communauté de la vie de caserne, elle sera conduite par le progrès des mœurs et des lois à accepter la communauté de la vie de l’école. Enfin, les subventions municipales pour l’achat des livres et fournitures scolaires, les caisses des écoles pour l’habillement des écoliers, les cantines scolaires souvent gratuites, tendent à décharger les familles ouvrières de l’entretien des enfants pendant la période de scolarité. Ce