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corps constitué qui pût sauver la patrie. Nul ne demandait la parole ; aucune délibération ne s’engageait… Hors cinq ou six hommes d’action, parmi lesquels ne se trouvait aucun ami de Danton, la Montagne partageait la consternation du côté droit. Le président Mallarmé avait quitté le fauteuil de lassitude et Hérault de Séchelles présidait silencieusement sur une assemblée muette. »

Cependant Danton, préoccupé d’éviter tout excès de la force populaire et de sauvegarder, jusque dans l’acte d’amputation nécessaire, la dignité de la Convention, demande que le Comité de salut public recherche par quel ordre des soldats barrent les portes de la salle.

« Vous pouvez compter, dit-il, sur le zèle du Comité de salut public pour venger vigoureusement la majesté nationale outragée en ce moment. »

L’officier Lesain, capitaine de la force armée de la section du Bon-Conseil, qui avait donné la consigne, est mandé à la barre, et soudain Barère conseille à la Convention de sortir de la salle, et d’aller délibérer au milieu de la force armée, comme pour prendre conscience de sa propre liberté et pour l’attester au monde.

C’était, avec de grands airs de fierté, la démarche la plus frivole et la plus vaine. La force révolutionnaire armée qui enveloppait la Convention voulait que les Girondins fussent frappés. Pour prouver qu’elle était libre au milieu des baïonnettes, la Convention aurait du couvrir la Gironde ; ou ce que proposait Barère n’était qu’une parade, ou c’était le conflit violent, direct de la Convention avec les sections révolutionnaires armées.

Quelle revanche pour Vergniaud qui avait tenté vainement, le 31 mai, d’organiser cette sortie en masse de la Convention ! Il est malaisé de démêler, dans les Mémoires mêmes de Barère, le plan exact qu’il avait formé, ni même s’il avait un dessein très précis.

« Je monte à la tribune, bien résolu à périr ou à faire punir le commandant Henriot, qui appuyait de la force armée une telle violation de la représentation. Je m’élève contre cette violence publique, j’engage l’assemblée à sortir et à aller se placer au-devant de cette artillerie sacrilège conduite par des scélérats. L’Assemblée s’émeut, s’indigne, elle est au moment de sortir. Alors Robespierre monte à la tribune et me dit à voix basse : « — Que faites-vous là ? Vous faites un beau gâchis. » Cette expression me dévoile la part que cet hypocrite prenait à tout cela, sans oser se montrer. « — Eh bien ! lui dis-je tout haut, le gâchis n’est point à la tribune, il est au Carrousel, il est là. » J’indiquai la place où étaient nos assassins ; et reprenant la parole, je tâchai d’exciter de nouveau la Convention à aller, par sa courageuse présence, neutraliser elle-même les efforts des factieux et les accuser en face. C’est alors que je tins le propos qui me fut si souvent reproché : « Je demande la punition exemplaire et instantanée de ce soldat insolent qui ose outrager et violer la représentation nationale. »