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c’est la crainte de hâter la perte de Louis par une accession à la ligue formée contre nous. Soit que Louis vive, soit qu’il meure, il est possible que les puissances se déclarent nos ennemies, mais la condamnation donne une probabilité de plus à la déclaration ; et il est sûr que si la déclaration a lieu, la mort en sera le prétexte.

« Vous vaincrez ces nouveaux ennemis, je le crois. Le courage de nos soldats et la justice de notre cause m’en sont garants. Cependant, résistons un peu à l’ivresse de nos premiers succès : ce sera un accroissement considérable à vos dépenses ; ce sera un nouveau recrutement à faire pour nos armées ; ce sera une armée navale à créer ; ce sera de nouveaux risques pour votre commerce qui a déjà tant souffert par le désastre des colonies ; ce sera de nouveaux dangers pour vos soldats, qui, pendant que vous disposez ici tranquillement de leurs destinées, affrontent les rigueurs de l’air, les intempéries des saisons, les fatigues, les maladies et la mort.

« Et si, la paix devenue plus difficile, la guerre, par un prolongement funeste, conduit vos finances à un épuisement complet auquel on ne peut songer sans frémir, si elle vous force à de nouvelles émissions d’assignats qui feront croître, dans une proportion effrayante, le prix des denrées de première nécessité, si elle augmente la misère publique par des atteintes nouvelles portées à votre commerce, si elle fait couler des flots de sang sur le continent et sur les mers, quels grands services vos calculs politiques auront-ils rendus à l’humanité ? Quelle reconnaissance vous devra la patrie pour avoir, en son nom et au mépris de sa souveraineté méconnue, commis un acte de vengeance devenu la cause ou seulement le prétexte d’événements si calamiteux ? Oserez-vous lui vanter vos victoires ? Je ne parle pas de défaites et de revers, j’éloigne de ma pensée tous présages sinistres. Mais, par le cours naturel des événements même les plus prospères, elle sera entraînée à des efforts qui la consumeront. Sa population s’affaiblira par le nombre prodigieux d’hommes que la guerre dévore, il n’y aura pas une seule famille qui n’ait à pleurer son père ou son fils ; l’agriculture manquera bientôt de bras, les ateliers seront abandonnés ; vos trésors écoulés appelleront de nouveaux impôts ; le corps social, fatigué des assauts que lui livreront au dehors des ennemis puissants, des secousses convulsives que lui imprimeront les factions intérieures, tombera dans une langueur mortelle. Craignez qu’au milieu de ces triomphes la France ne ressemble à ces monuments fameux qui, dans l’Égypte, ont vaincu le temps. L’étranger qui passe, s’étonne de leur grandeur ; s’il veut y pénétrer, qu’y trouve-t-il ? des cendres inanimées et le silence des tombeaux. »

C’est d’une puissance et d’une ampleur admirables ; mais aucune de ces paroles ne conclut à l’appel au peuple. Toutes crient à la Convention : « Jugez Louis XVI et épargnez sa vie. » C’est pour ne pas paraître oublier tout à fait sa thèse de l’appel au peuple, que Vergniaud a glissé dans ce développement