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une harmonie presque complète entre Pache et lui. Si la Commune elle-même désapprouvait l’insurrection et se trouvait cependant hors d’état de l’empêcher, qui pourra blâmer le ministre, beaucoup moins riche que la Commune en moyens d’action, de n’avoir pas pu maîtriser les événements !

« Pache déplorait, et je déplorais avec lui » !

C’était, semble-t-il, une déploration générale, une symphonie triste où le gémissement ministériel répondait au gémissement municipal. Il y a pourtant une nuance. Pache ne parlait guère, et Garat bavardait infiniment. Pache savait ce qu’il voulait, et Garat ne le savait point. Pache avait pris son parti sur la question essentielle : sur l’élimination nécessaire de la Gironde. Il différait avec l’Évêché sur le choix des moyens et de l’heure. Il aurait préféré, sans doute, que l’entraînement du peuple fût plus général et plus vaste. Il aurait souhaité que les autorités constituées de Paris eussent la conduite des opérations. Il craignait que la petite minorité exaltée de l’Évêché ne suppléât par des coups de violence, peut-être par des entreprises sanglantes, à la grande force populaire qui ne paraissait pas s’émouvoir encore suffisamment. Et c’est cette crainte qui lui donnait cette gravité silencieuse et un peu triste où Garat a cru voir un reflet de sa propre douleur bavarde et impuissante.

Mais si Pache avait des inquiétudes, du moins, il était décidé à marcher, même avec l’Évêché, s’il le fallait ; et devant le Comité de salut public, il s’abstenait de toute parole de blâme.

Il se réservait ainsi d’entrer dans le mouvement, quand l’heure décisive serait venue, et il se rassurait en se disant que si la journée du lendemain pouvait receler bien des secrets douloureux et des surprises sanglantes, du moins l’intention des meneurs, leur plan était de s’abstenir de toute violence contre les personnes. À coup sûr, Robespierre, Danton, Marat lui-même, avant de consentir au mouvement en avaient obtenu l’assurance, et le mot « d’insurrection morale » employé cette nuit même par Lhuillier devant le Comité de salut public exprimait la pensée non seulement des autorités constituées et du procureur syndic, mais aussi de la réunion de l’Évêché. Les Enragés, du moins quelques-uns d’entre eux, auraient voulu l’exécution immédiate, « l’exécution populaire » des Girondins. Quand, le 1er juin, à la Commune, Varlet se plaint que Pache n’ait pas été consigné pendant vingt-quatre heures (comme le fut Pétion au 10 août), quand il dit « qu’étant revêtu d’une autorité légale il peut être nuisible à la Révolution », il veut ouvrir libre carrière à toutes les violences des Enragés. Mais il n’ose pas proposer ouvertement le meurtre des Girondins. Et il est certain qu’un accord préalable s’était fait pour qu’il n’y eût pas, en ces journées révolutionnaires, effusion de sang. Plus tard, aux Cordeliers, dans la séance du 27 juin, le Lyonnais Leclerc accusait Danton et les dantonistes de s’être opposés, le 31 mai, aux mesures vigoureuses :

« Je demande que Legendre soit rayé du tableau des Cordeliers. N’a-t-il