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« On a dit que s’il n’existait point de loi qu’on pût appliquer à la circonstance, on opposerait à Louis Capet la volonté du peuple. »

« Voici ma réponse, ajoute Desèze : je lis dans Jean-Jacques Rousseau ces paroles :

« Ni la loi qui condamne, ni le juge qui doit prononcer ne peuvent s’en rapporter à la volonté générale, parce que la volonté générale ne peut, comme volonté générale, prononcer ni sur un homme, ni sur un fait. »

« Ainsi parlait Louis à votre barre, ainsi parlait Rousseau instruisant les peuples à la liberté. »

Je crois que Dubois-Crancé force le sens des paroles de Desèze, et même qu’il le fausse. Lorsque l’avocat disait (Dubois-Crancé n’a pas reproduit textuellement les termes) : « On a dit encore que s’il n’existait pas de loi qu’on pût appliquer à Louis, c’était à la volonté du peuple à en tenir lieu », il ne songeait point à la procédure de l’appel au peuple et ce n’est pas elle qu’il voulait combattre. Il voulait démontrer bien plus : l’impossibilité absolue de juger Louis XVI. Il affirmait qu’il n’y avait point de loi applicable à Louis XVI et qu’à défaut de loi, la volonté du peuple, de quelque manière qu’elle s’exprimât, ne pouvait valoir. Il n’écartait pas la consultation des assemblées primaires ; il refusait à la Convention elle-même le droit de juger au nom de la volonté du peuple. Quant à la question même de l’appel au peuple, Desèze se gardait bien de l’aborder, soit pour le demander, soit pour le combattre.

Combattre l’appel au peuple, c’était peut-être fermer la seule porte de salut qui pouvait s’ouvrir devant Louis XVI ; c’était désarmer la royauté, vaincue mais obstinée à espérer encore, d’un moyen formidable d’agitation et peut-être de revanche. Demander l’appel au peuple, c’était reconnaître d’emblée que le roi pouvait être jugé, qu’il relevait de la conscience nationale. Or, s’il pouvait être jugé par le peuple, pourquoi ne serait-il pas jugé par la Convention, organe du peuple ?

Desèze le dira lui-même très nettement, un peu plus tard, quand il interjettera appel au peuple après la condamnation du roi :

« Si nous n’avons pas élevé nous-mêmes cette question dans la défense de Louis, c’est qu’il ne nous appartenait pas de prévoir que la Convention se déterminerait à le juger, ou qu’en le jugeant elle le condamnerait. »

De plus, Desèze et le roi qui n’ignoraient certes pas qu’un parti puissant dans la Convention inclinait au système de l’appel au peuple, ne voulaient point compromettre ce système en l’adoptant. Ils ne l’auraient fait que s’ils avaient été résolus à déchaîner les passions des partis pour tenter de se glisser entre eux et d’échapper à travers la tempête. Or, c’est au contraire à une défense bénigne et calmante que s’arrêtèrent les conseils du roi et le roi lui-même.