« J’avoue que l’on employa quinze ou vingt séances bien inutilement pour se convaincre que Danton et Lacroix voulaient exploiter seuls tous les profits et avantages de la conquête rapide des Pays-Bas ; tandis que Gensonné et son parti cherchaient, de leur côté, à mettre de leur bord, et sous leur unique influence, le vainqueur de Jemmapes. »
A travers toutes ces contradictions et variations de Barère, il apparaît du moins avec certitude qu’à la fin de mars 1793 il était tout disposé à accueillir les accusations portées contre Danton aussi bien que celles portées contre la Gironde. L’esprit conciliant de Barère avait deux faces, une face bienveillante et une face hostile. Tantôt il conciliait deux forces opposées en reconnaissant les services de l’une et de l’autre. Tantôt il les conciliait en imputant des méfaits également à l’une et à l’autre, et selon les événements, c’est l’une ou l’autre face de son esprit « conciliant » qui apparaissait. Danton, en mars 1793, avait lieu de redouter la face hostile. Je ne sais s’il pouvait compter à fond sur Robespierre. Sans doute, celui-ci, le soir du 1er avril et quand déjà Danton a gagné devant la Convention une grande bataille, parle avec éloge du patriote, mais je ne vois pas qu’avant cette épreuve décisive il ait dit un mot pour encourager Danton et pour le défendre. Robespierre trouvait sans doute que c’était déjà trop pour lui de s’être compromis un peu dans son discours du 12 mars, par un témoignage de confiance, si réservé fût-il, à Dumouriez, et, dans le secret de son âme profonde et un peu trouble, où des jalousies inavouées se mêlaient aux pensées les plus nobles, il n’était point fâché sans doute de ces imprudences qui, sans perdre encore Danton, le diminuaient. J’observe que, quelques jours après, dans son discours du 10 avril, Robespierre produit ses griefs contre la Gironde, à propos de Dumouriez, sous une telle forme que Danton en est atteint :
« J’ai entendu, comme beaucoup de membres de cette assemblée l’ont pu faire, Vergniaud prétendre que l’opinion politique de Dumouriez était indifférente (Murmures), qu’il était nécessaire à la cause de la République. (Murmures prolongés.)
« Vergniaud. — Je vous donne un démenti formel.
« Un membre. — Et Danton ? Que nous a donc dit Danton ?
« — Il n’y a rien d’étonnant à ce qu’un commissaire à l’armée ait pu être trompé un moment sur les desseins de Dumouriez, qu’il ne voyait que dans ses fonctions, au milieu de ses troupes ; mais ce qui doit étonner, c’est que ceux qui étaient en relations habituelles avec lui, c’est que ceux qui ont marché à ses côtés dans la carrière de la Révolution n’aient point trouvé de quoi faire leur opinion sur le compte de ce général. »
Ainsi présentée, la défense de Danton est très faible. Il connaissait au moins autant Dumouriez que la plupart des Girondins. Et je me demande si déjà Robespierre n’avait point recueilli, dans un obscur repli de ses haines