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L’appel aux départements était, pour la Gironde, la suprême ressource ou tout au moins la suprême tactique. Elle sentait que du côté de la Belgique et de Dumouriez des nouvelles terribles allaient venir. Elle prévoyait un soulèvement de Paris, et elle s’apprêtait à refouler les forces insurrectionnelles parisiennes en s’appuyant sur des forces départementales. Mais comment invoquer les départements contre Paris au nom de la liberté, de la patrie et de la Révolution, si déjà les départements de l’Ouest trahissaient au profit des émigrés, du roi et de l’étranger, la Révolution et la patrie ? Avouer la gravité de l’insurrection de l’Ouest, c’était ou bien reconnaître avec la Montagne que Paris était le centre de salut, la sauvegarde nécessaire, le foyer inviolable et sacré, ou bien se condamner soi-même par un pacte public avec la contre-révolution. D’ailleurs, la thèse de la Gironde, c’était que tous les désordres, tous les malheurs, toutes les défaites étaient la conséquence de l’action des anarchistes travaillant pour le compte de l’étranger. Dès lors, pourquoi s’épuiser à combattre telle ou telle manifestation du mal ? Il fallait en tarir la source, et supprimer l’anarchie. Ainsi, par une logique d’aberration, la Gironde concluait que détruire la Montagne était le vrai moyen de combattre et Pitt et les Vendéens révoltés. Qu’on lise, à cette date, le Patriote français, et l’on verra à quel point l’esprit de la Gironde, faussé par tous les paradoxes de l’orgueil et de la rancune, était devenu incapable de percevoir le vrai et de sauver la Révolution menacée. Il y avait selon les Girondins une triple conspiration : conspiration des anarchistes, conspiration des contre-révolutionnaires, conspiration de l’étranger, et de cette triple conspiration, la branche essentielle et maîtresse, c’était la branche anarchiste. C’est sur celle-là d’abord qu’il fallait porter la hache.

« Nous avons, dit le numéro du 19 mars, découvert ces jours derniers des traces de la triple conspiration tramée à la fois dans toutes les parties de la France, mais ce n’étaient que de faibles étincelles qui annonçaient un terrible incendie. Il résulte, de dépêches communiquées aujourd’hui à la Convention nationale, que les départements de l’Ille-et-Vilaine, de Mayenne et Loire, de la Vendée, des Deux Sèvres et de plusieurs autres des ci-devant provinces de Bretagne et de Normandie, sont en proie aux horreurs de la guerre civile. Des brigands et une multitude égarée, commandés par des émissaires des anarchistes, portent partout le fer et la flamme. Cholet est incendié ; les rebelles, maîtres des chefs-lieux de district, sont réunis en corps d’armée, ils ont des armes, du canon, ils livrent des combats, cependant les corps administratifs et les patriotes témoignent le plus grand courage. Déjà les révoltés ont été complètement battus dans le district de Montaigu, et ont laissé 500 de leurs complices sur la place.

« Il est aisé de voir ici le doigt de Pitt. Ce ministre astucieux croit ne pouvoir mieux seconder les armées des despotes que par une puissante diversion à l’intérieur ; il espère sans doute ainsi s’ouvrir par ces manœuvres nos