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l’objet dont on s’occupait. Je tombai par hasard sur un carton qui renfermait les pièces que nous avions fait passer au conseil. J’y retrouvai les lettres que nous avions écrites le 4 et 14, et les copies des correspondances que nous avions trouvées sur les chefs des brigands. Tous ces écrits étaient propres à éclairer la discussion. Ils ne furent pas même consultés en cette circonstance. On eût dit que la malveillance dirigeait les opérations du comité. Barère, qui était vice-président, était d’une froideur qui ne peut s’exprimer ; il se tenait serré auprès de Pétion ; on eût dit qu’il attendait l’issue de la lutte entre la Gironde et la Montagne pour se déclarer… Cependant il paraissait plus disposé à se ranger du côté de Guadet que du côté de Marat.

« Ce dernier dit au Comité « que le salut public était la suprême loi, que les ennemis de la patrie levaient un front audacieux, qu’il fallait armer les bons citoyens et leur distribuer des poignards. » En disant ces paroles, il en tira un qu’il avait sous la nappe et l’étendit sur la table. « Voilà le modèle de l’arme que je vous propose, ajouta-t-il ; examinez bien cette arme, comme elle est aiguë ! Comme elle est tranchante ! Que chacun de vous essaie comme moi de percer le sein des ennemis de la République ! »

« Barère répondit que « le Comité n’était point assemblé pour s’occuper de la forme des poignards. — De quel parti es-tu ? lui demanda fièrement Marat. — Du parti de la République, répondit Barère ; quant à moi, je ne sais si Marat en est bien. — Toi, répliqua ce dernier, un républicain ! Barère un républicain ! c’est impossible ! » On fit cesser le débat qui devenait très chaud. »

C’est une des séances violentes dont parle Barère dans ses Mémoires :

« Dans ces temps de crise et de trahison, le comité de défense crut devoir transporter ses séances dans les appartements des Tuileries, et il prit la résolution de délibérer tous les soirs, sous les yeux mêmes de tous les membres de la Convention qui voudraient se rendre dans son sein. Les séances (fin de mars) étaient extrêmement nombreuses et duraient fort avant dans la nuit. Chacun y portait le tribut de ses lumières ; quelques-uns y portèrent le tribut plus dangereux de leurs passions. Tel fut Marat et quelques autres députés irascibles et délirants. »

Mais entre l’exaltation souvent clairvoyante, parfois puérile de Marat et l’esprit d’inaction et d’indifférence de la Gironde, le comité ne décidait rien. Les Girondins, de même qu’ils avaient essayé, au commencement de mars, de cacher à eux-mêmes et aux autres la portée des événements de Belgique, essayaient maintenant de jeter ou de laisser un voile sur les redoutables événements de l’Ouest. Justement, en cette fin de mars, les sections de Marseille, prenant parti contre Barbaroux et ses amis, avaient demandé par une pétition à la Convention qu’ils fussent rappelés. Et Barbaroux, pour relever le défi, avait proposé la convocation des assemblées primaires et l’appel aux électeurs.