les esprits contre la Révolution. Ils avaient envenimé la jalousie des paysans contre les bourgeois révolutionnaires des villes :
« Nous, du moins, nous vivons parmi vous et c’est parmi vous que nous dépensons le revenu de nos terres. Eux, ils ont acheté des biens nationaux où ils ne résident pas, et tout le fermage, toute la substance de la terre s’en va à la ville et ne revient pas. Et maintenant, ces beaux messieurs, sous prétexte qu’ils sont administrateurs du département ou du district, ils n’iront pas à la guerre. Ils resteront dans leurs confortables maisons ; ils surveilleront la croissance de leurs arbres dans leurs jardins ; et vous, paysans, bonnes âmes, vous irez vous faire tuer au loin pour une Révolution qui vous a pris vos curés, qui les a déportés par milliers, et qui enrichit des dépouilles de tous des citadins avides. »
Ainsi allaient les propos des nobles, ainsi la contre-révolution féodale se faisait démagogique, et les hobereaux dénonçaient les bourgeois. Les nobles, machiavéliques, attendaient que les paysans, une fois engagés à fond dans l’aventure, leur en remissent la direction. Eux-mêmes, avertis par l’échec de la conspiration de la Rouerie en Bretagne, ne prenaient pas d’emblée l’initiative du mouvement. Une conspiration qui tient en quelque sorte dans quelques têtes peut tomber en un jour avec ces têtes mêmes. Mieux valait, pour déconcerter la Révolution, un soulèvement vaste et diffus qui peu à peu s’ordonnerait sous la main des hommes d’ancien régime. Ce soulèvement, les nobles qui avaient été les confidents de la Rouerie auraient voulu qu’il n’éclatât qu’à la fin de mars, mais qu’il s’étendît alors soudainement à tout l’Ouest, à la Bretagne, à la Normandie, au Maine, à l’Anjou, au Poitou. D’Elbée, Bonchamps, Lescure, Sapinaud, Vaugiraud, espéraient qu’en quelques semaines la loi du recrutement aurait produit partout tout son effet de révolte ; dès lors, à la fin de mars ou au commencement d’avril, le mouvement serait si vaste qu’il épouvanterait la Révolution et qu’il obligerait aussi les bandes paysannes à se grouper, à s’ordonner sous la conduite des gentilhommes royalistes, plus experts aux grandes combinaisons militaires. Peut-être encore étaient-ils informés des espérances que, dès le début de mars, les puissances coalisées avaient conçues de la trahison pressentie de Dumouriez.
Quel coup admirable si l’on pouvait faire coïncider avec les effets décisifs de cette trahison le mouvement soudain de tout l’Ouest ! Mais les hauts gentilhommes furent débordés par l’impatience fanatique et par l’astuce paysanne. Les esprits, surchauffés de messages divins, ne se contenaient plus. Les prêtres insermentés, traqués de retraite en retraite, craignaient d’être pris si l’on ne brusquait le mouvement, et les plébéiens endoctrinés par le clergé se hâtaient aussi pour prendre, en quelque sorte, possession officielle de leur commandement avant l’intervention des nobles. Ils voulaient rester les chefs des bandes levées par eux ; et les prêtres qui se rappelaient l’incroyance des