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sur la journée du Dix-Août. Elle était, suivant lui, un assassinat du peuple par la fourberie royale, et cela devait suffire. Là il n’y avait pas à discuter, aucune chicane d’avocat n’était possible, et le jugement pouvait être porté en un jour.

La proposition de Marat était puérile, il était impossible d’isoler ainsi la journée du Dix-Août. Le roi ne pouvait être incriminé, pour ses actes de ce jour là, que parce que depuis des années il trahissait sourdement la Révolution. S’il avait été un roi vraiment constitutionnel et loyal, s’il avait été fidèle à son serment, à la liberté et à la nation, le soulèvement du peuple aurait été une révolte coupable, un acte factieux : le roi, en se défendant, aurait défendu la Constitution elle-même et la volonté de la nation, et ce sont les assaillants seuls qui auraient été responsables des accidents de la lutte. Le système arbitraire et impraticable imaginé par Marat témoigne de l’inquiétude et de l’hésitation des esprits.

C’est dans la matinée du 11 décembre que Louis XVI parut pour la première fois à la barre de la Convention pour entendre la lecture de l’acte d’accusation et répondre à l’interrogatoire. Barère présidait. L’habile et distingué député des Hautes-Pyrénées avait grandi vite en autorité depuis les conflits violents des Girondins et de la Montagne. Était-ce par calcul ou par sagesse de tempérament et naturel équilibre d’esprit ? Il avait su se garder des passions haineuses et étroites de l’un et de l’autre parti. Quand Louvet lança sa téméraire accusation contre Robespierre, Barère la fit écarter par l’ordre du jour ; mais en même temps il ne dissimula pas son mépris, ou tout au moins son dédain pour Robespierre, en qui il voyait un petit génie. Ainsi, dans l’équilibre où il se maintenait, il y avait quelque hauteur.

Barère, précisément parce qu’il ne s’engageait à fond dans aucune des passions étroites et partielles qui divisaient et amoindrissaient la Révolution, participait à la grandeur totale de celle-ci : il en démêlait toujours le mouvement d’ensemble, et il savait le rendre visible. Il ne portait pas la Révolution au centre de son être, comme Danton, mais il savait, par un calcul exact des forces, dégager la ligne générale, et il s’y accommodait. Ainsi il retrouvait en souplesse la largeur naturelle d’esprit et de volonté qui faisait de Danton l’égal de la Révolution. Et dans l’adresse de Barère, il y avait encore de la fierté.

La Convention, en l’élevant à la présidence durant ces jours tragiques, avait signifié qu’elle cherchait un point d’équilibre. Elle essayait d’échapper aux agitations furieuses de la Gironde sans tomber sous le sombre despotisme de Robespierre.

La séance du 11 décembre fut assez terne. Il y avait sans doute quelque chose de dramatique à voir le descendant de tant de rois absolus comparaître en accusé devant les représentants de la nation affranchie. C’était la souveraineté d’aujourd’hui jugeant la souveraineté d’hier.