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comme en août et septembre 1792, toute la force héroïque de la Révolution. Ces redoutables événements provoquèrent à Paris trois courants d’opinion bien distincts. D’abord, les Girondins qui avaient été partisans de la guerre, qui l’avaient déclarée, et qui, par le Comité de défense formé depuis le 1er janvier et où ils dominaient, en avaient eu en somme la direction, sentirent que la responsabilité des défaites allait peser sur eux. Ils auraient pu la porter sans fléchir s’ils avaient renoncé à leurs récriminations éternelles, s’ils s’étaient rapprochés de Danton, engagé comme eux en quelque mesure, et s’ils s’étaient associés de plein cœur aux mesures de défense nationale. Ils aimèrent mieux d’abord se faire illusion à eux-mêmes et au pays, et réduire presque à rien, puérilement, les échecs et le danger. Il était évident, dès les premières nouvelles, que la situation était grave, que puisque l’ennemi avait surpris nos forces sur la Ruhr, et marchait sur la Meuse, la Belgique était menacée. Trois lettres écrites de Liège les 2 et 3 mars par les commissaires de Belgique au Comité de défense faisaient connaître la gravité de la situation, et notaient, pour ainsi dire d’heure en heure, la croissance du danger. La première, du 2, disait :

« Nous sommes arrivés à Liège à 6 heures du matin, et à l’instant nous avons appris que notre avant-garde avait été obligée d’évacuer cette nuit Aix-la-Chapelle et de se replier sur Hervé (où nous nous rendrons demain)… Cet échec, dont nous n’avons pas encore tous les détails, a fait tenir ici des propos qui, par leurs suites, pouvaient devenir très funestes. »

C’est la menace d’un soulèvement de la Belgique au premier échec de la France. Le 3 mars, à 9 heures du soir, ils écrivaient :

« Nous vous avons écrit ce matin, par un courrier extraordinaire, pour vous informer des mouvements de l’ennemi, de la retraite de nos cantonnements d’Aix-la-Chapelle, et de la cessation du bombardement de Maëstricht. Depuis ce matin, le général Thouvenot, chef de l’état-major, est parvenu par une activité et un sang-froid au-dessus de tout éloge à rallier tous les bataillons qui s’étaient dispersés en désordre dans cette ville et à les faire retourner sur Hervé… Les généraux Valence et Thouvenot ont pris toutes les mesures nécessaires pour mettre les équipages et les approvisionnements à couvert des entreprises de l’ennemi, et de notre côté, nous avons aussi pourvu à la conservation du trésor public du pays de Liège… »

Ainsi, l’armée française était en retraite, et un moment presque en déroute, puisqu’il fallait la rallier : Aix-la-Chapelle était évacué, et les Français se préparaient à lever le siège de Maëstricht puisqu’ils avaient arrêté le bombardement. Liège était menacé. Le 3 mars, en une nouvelle lettre, les commissaires sonnent le tocsin d’alarme.

« Nous devons ajouter que tout est dans une position effrayante, que l’armée retirée d’Aix-la-Chapelle et des environs est presque entièrement débandée, que l’ennemi sera peut-être demain, peut-être même ce soir, à