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souffre de n’avoir eu, le 25 février, qu’une attitude négative ou même hostile à l’égard du peuple soulevé. Sans doute, lui aussi, comme Robespierre, comme les Jacobins, comme son substitut Hébert, il voit ou affecte de voir dans l’émeute une manœuvre.

« Si l’on en croit les hommes et les femmes qui se sont livrés à ces désordres, ils y ont été poussés par le désespoir. Ils disent : « Les portes des boulangers étaient assiégées, le pain était rare, nous avons craint d’en manquer. Le sucre, le café, le savon, la soude, la chandelle sont montés à des prix exorbitants. » Nous ne dirons pas, citoyens, que ces plaintes n’ont aucun fondement ; nous trahirions la vérité, mais nous n’en avouerons pas moins qu’elles ne sont que le prétexte du mouvement. Sa véritable cause, c’est la haine de la Révolution, c’est la contre-révolution ; ses auteurs, ses moteurs, sont les malveillants de l’intérieur coalisés avec les agents des puissances étrangères, etc. »

Mais quand Chaumette a payé ce tribut de rigueur à la thèse jacobine et montagnarde, il s’empresse de traduire, et avec une large effusion du cœur, les souffrances, les droits, les espérances du peuple. Et tout de suite, il donne à la question une belle ampleur. Non, il ne s’agit pas précisément, au moins pour Paris, de la question du pain. La Convention, qui a déjà voté il y a quelques jours une avance de 4 millions, et qui, le 27 février même, venait de la porter à 7, a assuré pour toute l’année le pain à bon marché à Paris. Il ne dépassera pas 3 sous la livre. Et les procès-verbaux de la Commune montrent avec quelle sollicitude, avec quelle vigilance le Conseil empêchera les 662 boulangers de l’intérieur de Paris, entre lesquels il répartissait la subvention, de vendre plus cher le pain, et d’augmenter même d’un sou le pain de quatre livres. Non, il ne s’agit pas d’arracher le peuple à la faim. Mais il a droit à mieux que cela. Il ne suffit pas de l’élever au-dessus de la plus triste mendicité. Il a droit au bien-être, et, suivant l’expression de Chaumette, ce ne sont pas seulement les denrées de première nécessité, ce sont « les denrées de seconde nécessité » qui doivent être à sa portée. En ce seul mot tient toute la Révolution accomplie depuis l’ancien régime. Ce qu’on peut appeler l’ambition publique, officielle, du peuple a grandi. Son idée du droit à la vie s’est haussée. Mais que d’obstacles à vaincre encore !

« Il n’existe plus de juste proportion entre le prix des journées de la main-d’œuvre et le prix de ces denrées de seconde nécessité. Nous savons que les circonstances actuelles présentent plusieurs causes de ce subit enchérissement. La guerre avec la puissance maritime, les désastres arrivés dans nos colonies, la perte du change, et surtout une émission d’assignats qui n’est plus en équilibre avec le besoin des transactions commerciales, voilà quelques-unes des causes de cette hausse considérable dont nous gémissons, mais combien est grande leur action, combien est terrible et désastreux leur résultat, quand, à côté, il existe des malveillants, des accapareurs, quand la