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le prétexte de les calomnier, en les accusant de l’avoir égorgé avec le glaive des lois. »

Marat songe évidemment ici à la séance du 12, où quelques membres de l’extrême-gauche proposèrent qu’un délai de quatre jours seulement fût accordé à Louis XVI pour examiner les pièces et présenter ou faire présenter sa défense. Marat était si préoccupé de ménager l’opinion publique, je dirais presque l’opinion moyenne, qu’un moment il fut accusé de tiédeur et qu’il dut s’expliquer dans son journal.

« En reportant Louis Capet sur le trône, après sa fuite vers l’ennemi, les représentants de la nation lui ont remis tous ses crimes antérieurs. Or, s’il convient de lui faire son procès d’après la Constitution, du moins pour fermer la bouche à ses suppôts, je pense qu’il faut se borner aux chefs d’accusation postérieurs à cette époque. De cette observation si simple, les amis ont conclu que je faisais beau jeu au tyran ; les ennemis, que je m’apitoyais sur son sort : ceux-ci ont cherché à cela du mystère ; ceux-là y ont vu une étourderie abominable.

« … Au reste, pour peu que la Convention s’aperçoive que les défenseurs de Louis Capet abusent des formes juridiques qu’elle a permises, non pour sauver le tyran, mais pour mettre en évidence ses crimes et prouver à l’univers qu’en le condamnant, elle ne condamne pas à mort un innocent, elle est toujours la maîtresse de rejeter ce mode vicieux, de faire justice d’un monarque conspirateur, et de le traiter en ennemi public pris les armes à la main. »

Ainsi, Marat ne se ralliera au point de vue de Robespierre et de Saint-Just que si l’autre méthode, le jugement selon les formes juridiques, suscite des difficultés et ne résout pas la crise ; mais, au fond, sa conception est directement contraire à la leur. Bien loin de ne voir dans le roi que sa qualité de roi, bien loin même de le traiter comme si toute la nation ne voyait en lui qu’un ennemi, il veut le juger sur ses crimes et selon la Constitution même. Il lui fait remise des crimes antérieurs à Varennes, parce que l’opinion a pu voir une amnistie dans son rétablissement sur le trône. Encore une fois, il est surprenant que M. Hamel se soit trompé à ce point sur la tactique de Marat.

Mais ce que je veux retenir, c’est que l’opinion de Saint-Just et de Robespierre était une opinion isolée, qu’elle parut à presque toute la Convention un paradoxe, et qu’il n’y avait certes pas là une difficulté capable d’arrêter ou de ralentir le procès. Si la Convention s’était placée nettement, dès les premiers jours, en face du problème, elle aurait certainement décidé, dès la fin de septembre ou le commencement d’octobre, qu’il y avait bien à juger Louis, qu’il devait être jugé par la Convention, et que la garantie des formes juridiques devait lui être largement assurée.

Mais, visiblement, les Girondins qui étaient, en ces premiers mois, les