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des formes nouvelles d’industrie, des sources nouvelles de richesse. Il ne paraît pas comprendre que toute l’ancienne clientèle fainéante des nobles et des moines doit être maintenant absorbée par le service de la production, sous peine d’entraîner de nouveau, par le seul poids de son inertie, la société à l’ancien régime. Il semble n’avoir aucun pressentiment de l’activité nouvelle que la destruction des corporations, la vente du domaine d’Église, les progrès déjà sensibles du machinisme, les hardiesses grandissantes de la science vont imprimer à la société issue de la Révolution. Le devoir de la démocratie révolutionnaire à ce moment était d’assurer à tous les citoyens, à tous les sans-propriété, des garanties contre l’oppression et l’exploitation des riches ; c’était, par exemple, d’organiser la vaste mutualité sociale esquissée par Condorcet ; ce n’était pas d’arrêter l’essor de la richesse créatrice. On dirait que Rabaut Saint-Étienne se figure les riches du monde moderne comme des abbés laïques, qui ont hérité de la clientèle de l’Église et de ses devoirs d’assistance. Au demeurant, il semble hésiter à limiter par la loi la puissance de la fortune ; c’est surtout sur des moyens moraux qu’il compte, et dans une deuxième lettre, il préconise surtout la simplicité de mœurs des quakers, les habitudes de simplicité des juifs de l’ancienne loi, groupés autour du Temple, et il espère que des fêtes publiques qui rapprocheraient riches et pauvres aideraient beaucoup à l’égalité sociale.

Et pourtant, si anodines que soient les idées de Rabaut Saint-Étienne, si puériles et même parfois si rétrogrades, elles témoignent du travail des esprits. Des modérés prirent peur de ses théories sur la propriété. Rœderer lui représenta que si la société pouvait, au delà d’une certaine fortune, se substituer aux propriétaires individuels, ce serait la spoliation et l’anarchie. Dans sa réponse, Rabaut insiste sur la subordination nécessaire de la propriété au pouvoir social.

« Quand j’ai recherché si la société n’avait pas le droit de disposer du superflu de la fortune des citoyens pour le besoin de la chose publique, j’ai pensé qu’elle le pouvait, je n’ai autre chose à faire que d’exposer mes motifs.

« Je dois d’abord faire observer que, par la république, j’ai entendu le gouvernement démocratique, tous les autres qui portent le nom de république sont aristocratiques ou mixtes. Or, j’ai pensé que le gouvernement démocratique ne peut subsister longtemps avec l’immense inégalité des fortunes, parce qu’elle produit d’autres inégalités en nombre toujours croissant et dans une proportion indéfinie ; ensuite, que dans un temps plus ou moins éloigné, LA NATION SE TROUVE DIVISÉE EN DEUX CLASSES. Le peuple finit par n’être plus rien, si même il ne devient de la populace, de la canaille. Alors le gouvernement démocratique est détruit, la république n’existe plus : c’est de l’aristocratie.

« Cependant, comme on s’occupe dans l’époque actuelle à examiner s’il est possible d’établir un gouvernement démocratique en France, il est permis