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Robespierre excessif et impolitique. Et il se fait de Marat une idée assez fausse. Celui-ci était parfois très avisé et très prudent, attentif à ne pas surexciter les forces de contre-révolution. Précisément, en ce mois de décembre, il blâme Cambon d’avoir, par sa motion sur le budget des cultes, « soulevé les prêtres constitutionnels », et il insère une lettre de quelques-uns d’entre eux.

Sur le procès même de Louis XVI, il est certain qu’il condamne la méthode de Saint-Just et de Robespierre. On sait qu’il tenait Robespierre en très haute estime : c’est le seul homme qu’il n’ait jamais attaqué. De même, il avait été frappé par les premiers discours de Saint-Just, et il caractérise sa manière avec beaucoup de finesse :

« Le seul orateur, écrit-il le 1er décembre, qui m’ait fait quelque plaisir à la tribune, c’est Saint-Just. Son discours sur les subsistances annonce du style, de la dialectique et des vues. Lorsqu’il sera mûri par la réflexion et qu’il renoncera au clinquant, il sera un homme : il est penseur. »

Mais, sur ce point, il se sépare de Saint-Just et de Robespierre. Je note qu’il ne loue pas le discours de Saint-Just sur Louis XVI. En fait, l’opinion très nette de Marat est que Louis XVI doit être jugé selon les formes. Il craint que si ses crimes les plus évidents ne sont pas rappelés au pays en un procès solennel, la sentence de mort rencontre des résistances. Il dit dans son opinion :

« Votre Comité de législation a fait voir, par une suite de raisons tirées du droit naturel, du droit des gens, du droit civil, que Louis Capet devait être amené en jugement. Cette marche était nécessaire pour l’instruction du peuple : car il importe de conduire à la conviction, par des routes différentes et analogues à la trempe des esprits, tous les membres de la République. »

Or, il est clair que le procédé sommaire de Robespierre ne lui paraît pas de nature à produire la conviction : il n’est pas « analogue à la trempe des esprits ». Et comme Marat a déposé son opinion écrite à la Convention le 3 décembre, précisément le jour même où parlait Robespierre, il est très vraisemblable qu’il a marqué quelque irritation des vues de celui-ci. La thèse intransigeante et tranchante de Robespierre pouvait donner à Marat, par contraste, une apparence de modérantisme. Si M. Hamel n’avait pas été absorbé et fasciné par la contemplation de Robespierre, s’il s’était reporté aux écrits de Marat, il aurait trouvé très plausible le propos que lui attribue Dubois-Crancé. Marat insiste sur son idée : Louis XVI doit être jugé avec apparat et sévérité. Et, dans le numéro du 13 décembre il se plaint, lui si pressé pourtant d’aboutir, d’impatiences irréfléchies qui risquent d’ôter au jugement de la Convention une part de son autorité :