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plus lente de leur être et précipitât outre mesure le rythme de leur propre vie. La mort du roi était comme le symbole d’une politique d’anéantissement ; et ils voulaient retenir du passé tout ce qui n’était pas violemment inconciliable avec l’ordre nouveau.

Ainsi, à l’insu même des révolutionnaires de la Bretagne péninsulaire les mélancolies secrètes de leur cœur pouvaient se pénétrer de royalisme. Quand Marat appelait « royalistes », ceux qui ne voulaient pas la mort du roi, il les calomniait à coup sûr ; mais il pressentait aussi les rapprochements qui se produiraient un jour. Pour plusieurs, la pitié était un commencement de vertige, et une première tentation.

Déjà les cris de colère des Girondins contre la Montagne et contre Paris, leurs combinaisons pour sauver le roi, trouvaient dans l’Ouest un écho redoutable, et les royalistes entraient à coup sûr, sans avouer leur but suprême, dans ces confuses agitations. Marat publie un « extrait d’une lettre de Quimper, le 14 décembre » qui est inquiétante ; c’est comme un prodrome de guerre civile, et d’une guerre civile où, par la force des choses, les révolutionnaires modérés seraient soutenus, enveloppés, débordés peut-être par les royalistes déguisés :

« Il y a eu ici, avant-hier, une fermentation ; les députés de ce département qui sont d’enragés Rollandins, entre autres Kervelegan, Gomaire et Maret ont écrit une lettre alarmante ; voici la substance de leurs impostures :

« Le parti Marat et Robespierre ne demande la punition du roi que pour élever l’Égalité au Trône. La Convention ne délibère pas librement, elle n’est même pas en sûreté à Paris. Ils finissent par inviter le département à tenir une force armée prête à se rendre à Paris au premier signal.

« En conséquence, le département a arrêté hier, dans une séance publique, qu’il serait levé dans son ressort un corps de 500 hommes, prêt à marcher le 25 de ce mois ; que copie de cet arrêté sera envoyée à tous les districts et municipalités. »

« Nous voilà donc menacés de la guerre civile par d’infâmes députés qui cherchent à armer tous les départements contre Paris, pour favoriser l’enlèvement du tyran ; par d’infâmes députés, peut-être tous complices de ses crimes, qui fomentent des divisions intestines. »

Comment les royalistes, auxquels les déclarations girondines fournissaient des arguments si aisés, n’auraient-ils pas songé à en tirer parti ? Et comment un jour les Girondins n’auraient-ils pas été inclinés à chercher un point d’appui dans ce fond de royalisme à demi inconscient qui subsistait en bien des cœurs, et que leurs véhémentes attaques contre la Révolution extrême avait flatté ? Mais ce n’étaient encore que d’obscures tendances, inaperçues de ceux mêmes en qui elles s’éveillaient.