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hérence et imprudence ! Mais Cambon ne veut point de ces manœuvres théâtrales. Il n’est point de la Gironde ; mais il hait les prétentions de la Commune ; et c’est en maintenant la Commission des Douze qu’il veut que l’Assemblée réponde. Son discours est d’une violence extrême, et il a un grand intérêt historique, car ce n’est plus une coterie girondine, c’est, par Cambon, toute la France révolutionnaire du Midi qui proteste contre la prétention de la Commune parisienne à absorber le pouvoir.

« Messieurs, la Commission extraordinaire vous prie de la renouveler ; l’Assemblée a déjà écarté cette proposition ; aujourd’hui ses membres vous disent : On nous a calomniés à la Commune, dans les sections, nous ne pouvons être utiles à la patrie. Eh ! Messieurs, ne voyez-vous pas qu’après avoir calomnié des membres dans les comités on les poursuivrait jusqu’à la tribune ? Ne voyez-vous pas qu’on veut discréditer, qu’on veut perdre les vrais amis de la liberté ? Il est temps de vous élever à la hauteur des circonstances.

« Il est temps que nous sortions de cette insouciance ou de cette réserve qui compromet chaque jour la chose publique. Il est temps que nous disions si nous voulons maintenir la dignité dont le peuple français nous a revêtus ou si nous céderons l’empire, la souveraineté à la Commune de Paris. »

« Si tous les Français doivent subir ses lois, ayons le courage de nous soumettre ; portons, comme on faisait à Rome, la tête sur le billot, nous l’aurons mérité. Mais s’il est encore dans nos âmes, ce sentiment impérieux de devoir, si nous conservons quelque idée du caractère sacré de représentants de la France, élevons-nous plus hautement encore contre les attentats dont on voudrait se rendre coupables. On accuse, on calomnie les membres de votre Commission, les hommes dont le zèle et les travaux ont justifié votre confiance et ils veulent donner leur démission. Je me suis opposé en leur rendant justice, à une organisation nouvelle qu’ils vous ont proposée il y a quelque temps. C’est parce que je n’ai pas cru ce mode convenable à la liberté ; mais je n’ai pas voulu, je n’ai pas cru pouvoir les accuser. Le motif qui me conduisit alors est le même aujourd’hui. Au nom de la liberté et de l’indépendance nationales, n’acceptons pas cette démission, méprisons et apprenons à nos collègues à mépriser ces lâches calomniateurs, ces misérables moyens d’intrigues, que votre fermeté, associée au vœu bien exprimé de la nation, déjouera aisément. (Applaudissements.)

« Ils vous disent, ces membres, qu’ils ne peuvent continuer des fonctions dans lesquelles on les accuse, et ils défendront, ajoutent-ils, les intérêts de leurs commettants à cette tribune. Non, messieurs, si vous cédez au calomniateur qui les poursuit dans la Commission il les suivra à la tribune et alors que deviendra la représentation ? Que deviendra la liberté, l’égalité ? Je frémis sur le sort de ma patrie ; déjà j’entends parler tout bas, des noms de protectorat de dictature, de triumvir. On prépare la France à tous les déchirements