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agitateurs. Eh bien, qu’ils prennent ma vie ; je ne veux la conserver que pour la liberté, l’égalité… »

Et il termina en sommant l’Assemblée de le soutenir ou d’accepter sa démission :

« Je reste à mon poste jusqu’à la mort, si j’y suis utile et qu’on me juge tel ; je demande ma démission et je la donne, si quelqu’un est reconnu pouvoir mieux l’occuper, ou que le silence des lois m’interdise toute action. »

L’Assemblée lui répondit par des applaudissements répétés et des acclamations. Roland, en ce discours, garde encore l’équilibre. Il semble disposé à laisser un voile sur les tristes événements de la veille, et à ne les point jeter dans la lutte des partis. Mais c’est un équilibre instable, et il est visiblement tenté de faire des massacres un moyen de polémique contre les ennemis de la Gironde.

Servan vint à son tour affirmer que c’étaient les ennemis, les envahisseurs qui divisaient les citoyens par des rumeurs abusives :

« Quelles suggestions perfides n’emploie-t-on pas pour nous égarer ? Quels moyens ne met-on pas en usage pour nous détruire mutuellement ? Ici ce sont des signataires de certaines pétitions qui sont désignés à la vengeance du peuple ; là ce sont des propriétés menacées. Tandis que l’on répand dans les départements frontières que le duc d’York est appelé au trône de France, on répand dans Paris que Louis XVI, de par la volonté de l’Assemblée, doit y remonter. Paris seconde les suggestions des ennemis de la liberté. Il est donc essentiel d’en arrêter promptement les progrès et d’en prévenir les résultats.

« Je propose donc à l’Assemblée : 1o de faire une adresse au peuple pour le détromper sur toutes ces assertions mensongères et que des commissaires du pouvoir exécutif en soient porteurs ; 2o que l’Assemblée veuille envoyer des commissaires dans toutes les sections de Paris pour les éclairer ; 3o que l’Assemblée nationale soit toujours en séance jour et nuit ; 4o que la garde nationale soit constamment sous les armes en nombre suffisant pour maintenir l’ordre ; 5o que Paris soit illuminé pendant la nuit ; 6o enfin que les décrets que l’Assemblée rendra sur ces importantes matières soient publiés d’une manière solennelle. »

Gensonné, presque aussitôt, au nom de la Commission des Douze, proposa ce décret qui fut adopté sans débat :

« L’Assemblée nationale, considérant que l’un des plus grands dangers de la patrie est dans le désordre et la confusion ; que sûr de résister aux efforts de tous les ennemis qui se sont ligués contre lui, le peuple français ne peut se préparer des revers qu’en se livrant aux accès du désespoir et aux fureurs de la plus déplorable anarchie ; que l’instant où la sûreté des personnes et des propriétés serait méconnues serait aussi celui où des haines particulières substituées à l’action de la loi, où l’esprit des factions rempla-