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produit plus de froissements que de sympathies. À présent, à coup sûr, la considération des maux de la coopération cède à sa nécessité. Mais une telle coopération sera-t-elle toujours commandée par la nature des choses ? Nous n’avons pas compétence pour le décider. À présent, pour abattre un arbre, pour creuser un canal, pour manœuvrer un vaisseau, le travail de plusieurs est nécessaire. Mais le sera-t-il toujours ? Quand nous songeons aux machines compliquées qu’a créées l’ingéniosité humaine, aux diverses sortes de moulins, de machines à tisser, de machines de navires, ne sommes-nous pas étonnés de l’économie de travail qui en résulte ? Qui peut dire où s’arrêtera ce progrès ? À présent, ces inventions alarment la partie laborieuse de la communauté, et elles peuvent produire une détresse temporaire, quoique dans la suite elles procurent les plus grands avantages à la multitude humaine. Mais, dans une société fondée sur le travail égal leur utilité n’est pas contestable.

« Dès lors, il n’est pas démontré du tout que les opérations les plus étendues ne seront pas à la portée d’un seul homme, et qu’une seule charrue ne pourra suffire à tout un champ et accomplir son office sans qu’il soit besoin de surveillance. C’est en ce sens que le célèbre Franklin considérait que « l’esprit serait un jour le maître de la matière ».

« La conclusion du progrès qui a été esquissé, est qu’enfin le travail manuel cessera d’être nécessaire. Il peut être instructif à cet égard d’observer comment le sublime instinct des âges précédents a anticipé ce qui nous apparaît comme la perfection future de l’humanité. C’était une loi de Lycurgue qu’aucun Spartiate ne pouvait être employé à un travail manuel. Dans ce but, et avec ce système, il était nécessaire que les Spartiates eussent des esclaves voués à de dures besognes. La matière, ou pour parler plus exactement, les lois certaines et permanentes de l’univers seront les Ilotes de la période que nous considérons. Nous finirons ainsi, ô législateur immortel, au point par où vous avez commencé. »

Quelles vues sublimes ! Mais c’est la magnifique puissance de rénovation attestée par la Révolution française qui suggère à Godwin ces espérances illimitées. La crise que traverse le monde est terrible ; mais elle peut enfanter de grandes choses.

« La condition de l’espèce humaine en ce moment est critique et alarmante. Mais nous avons des raisons sérieuses d’espérer que l’issue de cette crise sera exceptionnellement bienfaisante. »

Et pourquoi l’évolution humaine s’arrêterait-elle à l’ordre nouveau qui va naître ? Elle ira au delà. Godwin espère que le mouvement sera sans violence.

« Il est faux, dit-il, qu’il n’y ait que les classes inférieures qui souffrent de l’inégalité, et que dès lors, elles seront obligées de recourir à la force. » Toutes les classes en souffrent : et quand elles en auront conscience, elles