Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/860

Cette page a été validée par deux contributeurs.

sement, il n’en est pas ainsi : l’humanité n’est pas soumise à cette déplorable alternative, ou d’être inculte, ou d’être injuste.

Il se peut (et ici encore s’affirme le sens de l’évolution de Godwin) « qu’un tel état de luxe et d’inégalité ait été un stage par lequel il ait été nécessaire de passer pour arriver au but de la civilisation. La seule garantie que nous ayons enfin de l’égalité des conditions, c’est une persuasion générale de l’iniquité de l’accumulation et de l’inutilité de la richesse dans la poursuite du bonheur. Mais cette persuasion ne peut être établie dans un état sauvage : et elle ne peut être maintenue si nous retombons dans la barbarie. Ce fut le spectacle de l’inégalité qui, tout d’abord, excita la grossièreté des barbares à un effort continu, en vue d’acquérir. Et ce fut cet effort continu qui procura les loisirs d’où se développèrent la littérature et l’art.

« Mais, quoique cette inégalité ait été nécessaire comme prélude à la civilisation, elle n’est pas nécessaire pour la maintenir. Nous pouvons abattre l’échafaudage quand l’édifice est achevé. »

Ainsi, selon Godwin, l’histoire n’est pas une longue décadence. Elle n’est pas tombée d’un régime primitif d’égalité dans une inégalité éternelle, Elle est un progrès constant vers la civilisation et l’égalité vraie ; et même l’inégalité brutale qui a sévi sur toute une période de l’histoire humaine n’est qu’un moyen de réaliser une égalité supérieure.

Ce n’est point, en effet, une grossière égalité de misère et d’ignorance qui est proposée aux hommes. La suppression du luxe n’est, au fond, que la suppression du privilège ; mais toute l’humanité peut et doit se développer dans la joie.

«  Si nous entendons par luxe les jouissances qu’un individu se procure à l’exclusion des autres, affligés de privations imméritées et de fardeaux accablants, le luxe ainsi compris est un vice. Mais si nous entendons par luxe (et c’est souvent le cas), des conditions d’existence qui ne sont point absolument nécessaires à nous maintenir en santé, ce luxe, s’il est susceptible de se communiquer à tous les hommes, est vertueux. La fin de la vertu, c’est d’ajouter à la somme des sensations agréables. Or, la vraie règle de la vertu, c’est l’impartialité qui nous interdit de consacrer au plaisir d’un seul individu des efforts qui doivent être employés au plaisir de tous. Mais dans ces limites, chaque homme a le droit et le devoir d’ajouter à la somme des plaisirs. »

Et ce grand luxe égalitaire, la société humaine pourra aisément se le donner.

« Nous avons vu que le travail d’une demi-heure par jour fourni par chaque membre de la communauté suffirait probablement à procurer tout ce qui est nécessaire à la vie. Par suite, cette quantité de travail, quoiqu’aucune loi ne la prescrive et qu’aucune pénalité directe ne l’impose, s’imposera d’elle-même aux forts par la puissance de l’intelligence et aux faibles par le sentiment de la honte. Après cela, comment les hommes dépenseront-ils ce qu’il