de la presse, comme un enfant mort-né et qu’il n’ait pas éveillé une grande curiosité chez mes concitoyens. Je n’avais pas la faiblesse de supposer qu’il balaierait immédiatement toute erreur devant lui, comme un flux puissant des vagues de l’océan ; je saluai l’opposition qu’il rencontra, directe ou indirecte, d’arguments ou de facéties, comme un symptôme non équivoque du résultat que je désirais si passionnément. »
Et maintenant que la réaction est venue, maintenant que l’économie capitaliste triomphe, maintenant que le silence et l’oubli se font sur ce qu’on appelle, dit amèrement Godwin, les « spéculations visionnaires » de la grande époque créatrice, Godwin semble leur jeter, avant de mourir, un regard d’adieu. Il ne les mêlera pas à son livre sur la population, qui a un objet distinct ; mais il leur réserve, au plus profond de son âme et de sa pensée, une place de prédilection.
« Je me suis à peine permis, dit-il, de rappeler les belles visions (si toutefois elles doivent s’appeler des visions), qui enchantaient mon âme et animaient ma plume quand j’écrivais cet ouvrage (the beautiful visions which enchanted my soul and animated my pen). »
Comme de l’océan chauffé par le soleil montent des nuées d’or, de la vaste et chaude Révolution mouvante les premiers rêves socialistes montaient. Rêves féconds comme la nuée qui va au loin susciter la vie.
Mais quoi ! Godwin, par l’âpre condamnation du luxe, par le niveau spartiate passé, semble-t-il, sur les joies de la vie et la puissance inventive de l’industrie raffinée, ne se sépare-t-il point de la vie elle-même ? Ne rompt-il pas avec le monde moderne ? Il semble parfois déclarer la guerre à la civilisation même, et rêver une simplification de l’existence qui en serait l’appauvrissement :
« L’objet, de la société présente est de multiplier le travail, l’objet de la société future sera de le simplifier. »
Mais qu’il n’y ait point de méprise : ce que combat Godwin, c’est le luxe aristocratique, luxe de vanité et de privilège ; ce n’est pas le luxe délicat, sobre et sévère auquel toute l’humanité pourra s’élever d’un effort collectif après avoir assuré à tous le nécessaire du corps et de l’esprit :
« On m’oppose — et la vérité de cette maxime ne sera pas contestée — que le raffinement vaut mieux que l’ignorance. Il vaut mieux être un homme qu’une brute. Par suite, les attributs qui séparent l’homme de la brute sont les plus dignes d’affection et de culture. Élégance de goût, délicatesse de sentiment, profondeur de pénétration, étendue de science, sont parmi les plus nobles ornements de l’homme. Mais tout cela, dit-on, est lié à l’inégalité ; tout cela est une conséquence du luxe. C’est le luxe qui a construit les palais et peuplé les cités. C’est pour obtenir une part de ce luxe, qu’il constate chez ses riches voisins, que l’artiste développe tous les raffinements de son art ! C’est à cela que nous devons l’architecture, la peinture, la musique et la poé-