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guerres provoquées par l’aristocratie féodale, toute aristocratie de propriété les provoquera.

« L’ambition est, de toutes les passions humaines, celle qui fait les ravages les plus étendus. Elle ajoute district à district et royaume à royaume. Elle verse le sang et la souffrance sur toute la face de la terre. Mais cette passion même, aussi bien que les moyens de la satisfaire, est le produit du système dominant de propriété. C’est seulement par une accumulation de propriété qu’un homme obtient un empire irrésistible sur une multitude d’autres. Rien n’est plus aisé que de plonger dans la guerre une nation ainsi organisée. Si, au contraire, l’Europe était peuplée d’habitants ayant tous le nécessaire et aucun le superflu, qu’est-ce qui pourrait engager en un état d’hostilité les différents pays ? Si vous voulez conduire les hommes à la guerre, vous devez les amorcer par certains appâts ; ou, à défaut de ces appâts, il faudrait décider par la persuasion chaque individu. Mais comment serait-il possible, rien que par de tels moyens de persuasion, de décider un peuple à égorger un autre peuple ? Il est clair que la guerre, avec tous ses maux, est le fruit de l’inégalité de propriété. Aussi longtemps que cette source de jalousie et de corruption demeure, il est chimérique (visionary) de parler de la paix universelle. Aussitôt que cette source sera séchée, la conséquence se produira nécessairement. C’est l’accumulation de propriété aux mains de quelques chefs qui fait de l’humanité une masse grossière, que l’on peut ployer et manier comme une machine brute. Écartez cette pierre d’achoppement, tout homme sera uni à son prochain par des liens d’affection et de mutuelle tendresse, mille fois plus qu’aujourd’hui : car alors chaque homme pensera et jugera par lui-même. »

Ainsi, le grand rêve pacifique de la Révolution naissante ne prendra corps que dans une organisation sociale égalitaire, et ici encore Godwin prend son élan du mouvement révolutionnaire pour le dépasser. Quelle était, en ces magnifiques visions d’avenir, la joie de son âme, Godwin l’a dit plus tard. Il avait touché dans son livre à la question de la population. Il avait assuré qu’il était possible à la terre, mieux aménagée, de nourrir un plus grand nombre d’hommes.

« Il a été calculé que la culture pourrait être assez perfectionnée en Europe pour nourrir cinq fois le nombre actuel de ses habitants. Il y a dans la société humaine un principe qui fait que toujours la population est ramenée au niveau des moyens de subsistance. Ainsi, parmi les tribus errantes de l’Amérique et de l’Asie, nous ne trouvons jamais, dans le cours des temps, que la population se soit assez accrue pour rendre nécessaire la culture de la terre. Ainsi, chez les nations civilisées de l’Europe, par l’effet du monopole territorial, les moyens de subsistance sont contenus dans certaines limites, et si la population excède, les classes inférieures ne peuvent plus se procurer les choses nécessaires à la vie. Il y a, à coup sûr, un extraordinaire