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forme qui s’ébauchait partout dans le monde. Ainsi, sur l’arbre de la liberté et de la démocratie planté par la Révolution, il greffait le socialisme égalitaire Et comment cette splendide bouture ne prendrait-elle pas sur l’arbre révolutionnaire plein de vie et de sève montante ?

Godwin avait la conscience claire de ce qui le séparait de ses prédécesseurs, de ceux qui, avant lui, proposèrent aux hommes des systèmes d’égalité. Dans une curieuse note, où il donne ses références, les exemples et les autorités dont il se réclame, je vois bien qu’il parle de Sparte, de Crète, du Pérou et du Paraguay, et il peut sembler qu’il y a quelque enfantillage à rapprocher ces formes diverses de communisme vrai ou supposé, de ce que serait le communisme du monde moderne européen. Mais ce ne sont là à ses yeux que des indications, « des autorités pratiques », qui établissent qu’en fait il n’est pas impossible d’échapper au système de la propriété. Ce ne sont pas des modèles et, visiblement, la réglementation autoritaire du Pérou et du Paraguay est tout à fait contraire au communisme individualiste et libertaire de Godwin.

Je vois bien aussi qu’il se réfère à la République de Platon ; mais il se hâte d’ajouter :

« Il serait frivole d’objecter que les systèmes de Platon et autres sont pleins d’imperfections. Cela fortifie plutôt leur autorité, puisque l’évidence de la vérité qu’ils affirmaient était si grande qu’elle gardait ses prises sur leur intelligence, quoiqu’ils ne connussent pas encore le moyen d’écarter les difficultés qui y étaient attachées. »

Sans aucun doute, Godwin entrevoit bien le moyen d’écarter ces difficultés ; et ce moyen souverain, c’est la puissance d’éducation, de vérité et de sincérité que contient la démocratie absolue. Mais quelle phrase significative sur Mably :

« Mably, dans le livre de la Législation, a expliqué largement les avantages de l’égalité, et ensuite, il a abandonné le sujet, de désespoir, dans l’opinion que la dépravation humaine était incorrigible. »

Ce sujet, Godwin le reprend, et il ne désespère pas. Le vieux monde où vivait Mably s’est si soudainement écroulé, tant de vices anciens ont été déracinés, tant de vertus nouvelles ont apparu, un peuple tout entier s’est montré capable de tant de fermeté et de virile indépendance qu’il n’est plus raisonnable de douter et d’assigner des limites au progrès de la race humaine. Ainsi le souffle puissant de la Révolution soulevait la grande espérance socialiste. Ainsi, le système de légalité prétendait, dans le vaste mouvement du monde, à une croissante réalité. Et Godwin, en une formule magistrale, concluait :

« L’égalité des conditions ou, en d’autres termes, une égale admission de tous aux moyens de perfectionnement et de joie, c’est la loi que la voix de la justice impose rigoureusement à l’humanité. Tous les autres changements