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tion et de dégoût succédait à l’entraînement du meurtre. De là, pour la Commune, une cause de faiblesse.

Mais ce qui est plus caractéristique, ce qu’aucun historien, si je ne me trompe, n’a relevé, c’est que Marat lui-même a désavoué ou tout au moins déploré les massacres de septembre. Oui, Marat lui-même, le Marat qui les avait conseillés au peuple de Paris en son numéro du 19 août, et qui, le 2 septembre voulait en étendre le bienfait à toute la France. Deux fois, au moins, en octobre 1792, un mois après les événements de septembre, il les qualifie de « désastreux ». Dans le numéro du jeudi 11 octobre, je lis :

« Avant de procéder à l’examen des papiers les membres de la commission s’entretenant des événements désastreux des 2 et 3 septembre, demandèrent à ceux du comité s’il avait péri quelque innocent. »

Je lis dans le numéro du dimanche 14 octobre :

« La calomnie, couverte du voile de la haine de l’oppression et de l’injustice, arme trop ordinaire des fripons publics, a volé de la tribune de l’Assemblée législative et des bureaux de Roland dans tous les points de l’empire pour peindre la Commune de Paris comme une horde de cannibales, au sujet des événements désastreux des 2 et 3 septembre. »

Désastreux ! C’est comme l’épithète homérique immuablement appliquée par Marat aux événements de septembre ; qui l’eût cru ? Je sais bien qu’au mois d’octobre Marat est en butte à de furieux assauts. Mais les concessions mêmes qu’il fait à l’opinion marquent la violence du mouvement public contre les boucheries de l’Abbaye et de la Force. C’est une grande leçon de voir le théoricien du meurtre, l’homme de système implacable qui ne pouvait se sauver pleinement devant l’histoire que par son inflexibilité même, fléchir sous la réprobation instinctive des cœurs pitoyables, se troubler lui-même dans le trouble universel et succomber à la commune humanité. Je sais bien aussi que ce trouble n’a pas été jusqu’à l’entier désaveu, et le 8 novembre, faisant front de nouveau à tous ses ennemis, il glorifie son système de meurtre :

« Je les défie de faire voir autre chose dans mes écrits, si ce n’est que j’ai démontré la nécessité d’abattre quelques centaines de têtes criminelles pour conserver trois cent mille têtes innocentes, de verser quelques gouttes de sang impur pour éviter d’en verser des flots de très pur, c’est-à-dire d’écraser les contre-révolutionnaires pour sauver la patrie ; encore n’ai-je conseillé les exécutions populaires que dans les excès où me jetait la douleur de voir les lois protéger les traîtres, et les conspirateurs échapper au glaive de la justice. Or j’invite mes détracteurs à soumettre ces conseils à un tribunal de sages, et si je n’ai pas son approbation, je consens à passer pour un cannibale. Oui, c’est le plus pur amour de l’humanité, le plus saint respect pour la justice qui m’a fait renoncer quelques moments à la modération philosophique pour crier haro sur ses plus implacables ennemis, Cœurs sensi-