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il est difficile de concevoir qu’il hésite. Mais, quoique cette alternative ne puisse se poser pour un individu, ; il se peut très bien que ce soit la vraie solution quand il s’agit de l’espèce. »

Cela est d’autant plus raisonnable que le luxe ne serait point en lui-même un élément de plaisir, sans l’assaisonnement de la vanité, et qu’il ne paraît pas impossible de donner un objet plus haut à l’orgueil humain. Mais comment aller à l’égalité de fait, à l’égalité réelle, avec le système de propriété d’aujourd’hui ? Godwin procède à une analyse profonde de la propriété : il la décompose en ses formes pour retenir celles qui sont des garanties de liberté, pour condamner celles qui sont des moyens d’oppression ; et par cette analyse même, nous sommes avertis que ce n’est pas une spéculation de philosophe moraliste que nous avons à faire, mais à l’effort de pensée d’un homme épris de réalité et qui cherche comment il pourra faire entrer dans les choses son idéal.

« Les hommes ne vivent que du produit du travail humain. Mais entre le moment où ils commencent à produire et le moment où ils peuvent consommer le produit, il y a un intervalle ; et pendant ce temps, il faut qu’ils consomment ; qui sera gardien, qui sera distributeur de la provision nécessaire ? Voilà le problème de la propriété. »

Et l’on voit que Godwin ne distingue pas très nettement les provisions consommables qui alimentent les producteurs avant la réalisation du produit, et les moyens de production. Il commence bien pourtant à démêler que c’est la propriété des moyens de produire qui est l’essentiel de la propriété, puisque les produits consommables lui apparaissent surtout comme une provision permettant le travail.

« Il y a trois degrés de propriété.

« Le premier et le plus simple degré consiste dans mon droit permanent sur les choses qui, attribuées à moi, produisent une plus grande somme de bénéfice et de plaisir qu’attribuées à tout autre. » Évidemment Godwin pense ici à ce qui subsiste de vague propriété commune, primitive et élémentaire, dans les sociétés civilisées d’aujourd’hui, et qui est représentée, par exemple, par le droit de glanage et de pacage, par différents droits d’usage assurés à tout homme et dont l’exercice ne peut être réglé que par la loi de la plus haute utilité pour tous et pour chacun.

Il y a un second degré de propriété, où l’appropriation individuelle semble plus forte et plus précise :

« C’est le droit qu’a tout homme sur les produits de sa propre industrie, de son propre travail, même sur cette portion dont il ne peut faire usage lui-même. »

Attenter à cette propriété, c’est interdire, en fait, à un homme de produire tels et tels objets : c’est donc supprimer en lui le libre choix, la libre activité de l’entendement ; c’est réduire la créature humaine à la condition la