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d’évolution illimitée que suggère aux esprits le vaste renouvellement du monde.

Seule une longue et subtile analyse pourrait discerner tous ces éléments et en déterminer la proportion.

Il condamne à fond l’inégalité sociale : il proclame d’abord le droit égal de tous les hommes à toutes les jouissances de la vie. « Les êtres humains participent à une commune nature ; ce qui est utile et agréable à un homme serait utile et agréable à un autre homme. Il suit de là, sur les principes d’une égale et impartiale justice, que les biens du monde forment un fonds commun où un homme a des titres aussi valides qu’un autre homme de prendre ce dont il a besoin. Il apparaît, à cet égard, que tout homme a une sphère de droit dont la limite est marquée par la sphère égale du droit des autres hommes. J’ai droit aux moyens de subsistance : tout homme y a droit aussi ; j’ai droit à toute jouissance que je puis goûter sans nuire à moi-même et aux autres : tout autre homme y a, au même titre, un droit d’une égale étendue. »

Mais diverses sont, dans les sociétés compliquées d’aujourd’hui, les catégories de biens auxquelles l’homme peut prétendre. « Il en est quatre : il y a d’abord la subsistance ; il y a en second lieu les moyens de progrès intellectuel et moral ; il y a en troisième lieu les jouissances peu coûteuses (par exemple la vue de la nature, les voyages à pied) ; et enfin il y a les jouissances qui ne sont nullement nécessaires à une existence saine et vigoureuse, et qui ne peuvent être obtenues qu’avec beaucoup de travail et d’industrie :

« C’est cette classe de biens qui s’interpose surtout comme un obstacle sur la voie de l’égale répartition. »

Ainsi, c’est avec les produits de l’industrie un peu raffinée et les objets du luxe, c’est avec tout ce qui dépasse les besoins élémentaires d’une vie saine et simple, que commence l’inégalité, et il semble que Godwin est tenté de supprimer l’inégalité en invitant les hommes à retourner à la simplicité primitive.

« Nous verrons plus bas dans quelle mesure les articles de cette dernière catégorie peuvent être admis dans le pur mode d’existence sociale. Mais, dès maintenant, il faut noter l’infériorité de cette classe de besoins et d’objets sur ceux des catégories précédentes. Sans elle nous pouvons jouir, en une large mesure, d’activité, de contentement et de bonne humeur. Et comment ces superfluités sont-elles habituellement procurées ? C’est en réduisant une multitude d’hommes, en des points essentiels, et déplorablement, au-dessous du nécessaire, qu’un homme s’assure à lui-même le luxe le plus somptueux, mais, en soi, le plus insignifiant. Supposons que ce problème se pose nettement devant un homme, et qu’il dépende de sa décision immédiate, en renonçant à ce luxe, de donner à cinq cents êtres humains loisir, contentement, dignité consciente, et tout ce qui peut affiner et élargir l’intelligence humaine,