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nence et leur désir n’est pas fixé sur la richesse comme sur le seul objet ; ils se passionnent aussi pour toute supériorité de tout genre, grâce, savoir, talent sagesse, vertu. Et il n’apparaît point que ces derniers objets soient poursuivis par leurs fidèles avec moins de passion que la richesse l’est par ses adorateurs. La richesse serait beaucoup moins l’objet de la passion universelle si l’institution politique, plus que sa naturelle influence, ne faisait pas d’elle la route vers l’honneur et le respect.

« Il n’y a pas de méprise plus grave que celle des personnes bien à leur aise et entourées de tout le confort de la vie qui s’écrient : « Nous trouvons que les choses sont bien comme elles sont » et qui considèrent âprement tous les projets de réforme comme les romans de visionnaires et les « déclamations de ceux qui ne sont jamais contents. » Est-ce donc bien qu’une si grande part de la communauté soit maintenue dans une pénurie abjecte, rendue stupide par l’ignorance, et repoussante par les vices, perpétuée dans un état de nudité et de faim, aiguillonnée sans cesse à commettre des crimes, et victime des lois sans merci qu’ont faites les riches pour l’opprimer ? Est-ce sédition de rechercher si cet état de choses ne peut être remplacé par un meilleur ? Ou peut-il y avoir rien de plus déplaisant pour nous-mêmes de nous écrier : « Tout est bien, » seulement parce que nous sommes à notre aise, sans égard à la misère, à la dégradation et au vice qui peuvent être en d’autres le produit de cet état mauvais ?

« C’est sans doute une pernicieuse erreur qui s’est glissée chez certains réformateurs et les conduit à s’abandonner sans cesse à l’acrimonie et à la colère qui les dispose souvent à trop de complaisance pour des projets de correction et de violence. Mais si nous croyons que la douceur et un amour infini des hommes sont les instruments les plus efficaces du bien public, il ne suit pas de là que nous devons fermer nos yeux sur les calamités qui existent, ou cesser de tendre, d’une aspiration ardente, à leur suppression. »

L’accent est profond et sincère. Certes, il peut nous paraître que Godwin réduit trop ce qu’il appelle « l’influence naturelle » de la richesse. Il semble croire trop aisément qu’en brisant la forme autocratique de la société on brisera par là même la puissance abusive de la richesse. Et pour nous, qui avons vu la richesse garder son action, son caractère de privilège, dans la démocratie, même républicaine, il y a une sorte d’illusion un peu puérile.

Il ne faut pas oublier cependant que Godwin, en brisant toute la législation d’aristocratie, ouvrait les voies à l’avenir et au socialisme même. Il n’est pas un utopiste édifiant sur des nuées lointaines une cité chimérique. Il sait à quels obstacles immédiats et formidables se heurte, non seulement l’égalité parfaite, mais la tendance à l’égalité ; et c’est cette tendance qu’il veut, en quelque sorte, libérer. Aussi bien, quand il dit que c’est l’institution politique qui consacre la puissance de la richesse, ce mot a pour lui un sens très large ; il ne s’agit pas seulement de la forme gouvernementale ou du