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Godwin est si épris du libre développement des individus, qu’il rejette comme oppressive la théorie du contrat social. Ce prétendu contrat est une chimère et, s’il existait, il serait un lien obscur et mystique pour la volonté. Ce qui est vrai, c’est qu’une décision de la communauté ne vaut que si elle est l’expression de la volonté générale. Tous les individus doivent donc participer à la délibération. Mais chacun n’est tenu envers la décision commune que par son adhésion individuelle. S’il n’y a pas unanimité, la minorité peut s’incliner par prudence, par sagesse, et pour ne pas briser le mécanisme des délibérations communes, mais elle reste juge des raisons qui la lient : elle n’est pas tenue par un contrat. Godwin maintient toujours éveillé dans l’individu, même quand il cède, le sentiment de son droit.

La monarchie et l’aristocratie, qui asservissent et qui exploitent, sont intolérables. Elles ne peuvent se soutenir que par le mensonge. La démocratie, au contraire, quels que puissent être ses vices et ses périls, a cet avantage immense de reposer sur la vérité, de faire appel à la vérité. Elle n’enveloppe pas le pouvoir d’obscurité et de mystère, elle proclame le droit de chaque individu vivant, elle oblige tout homme à faire prévaloir par la discussion sa pensée, et par là, elle est la forme de gouvernement la plus voisine de la science.

Mais c’est à la condition de ne pas s’arrêter à l’organisation politique, toujours superficielle et chaotique, de la société ; c’est à la condition de réaliser l’égalité véritable, l’égalité sociale qui seule donnera à tout homme des objets précis à étudier, des intérêts substantiels et clairs à administrer, et qui le sauvera ainsi du charlatanisme gouvernemental, aussi bien des fictions du parlementarisme que des mensonges grossiers de la monarchie et de l’aristocratie.

Cette préoccupation d’égalité sociale est constante chez Godwin. Toujours il constate l’écrasement des pauvres, des « basses classes », et la nécessité de les relever par une meilleure répartition des fruits du travail, par un changement complet dans le système de la propriété : le socialisme est le fond et le terme de son livre. Ce qu’il reproche le plus aux formes politiques d’inégalité et de privilège, c’est qu’elles recouvrent et protègent l’iniquité sociale.

« L’aristocratie est intimement unie à une extrême inégalité des possessions. Aucun homme ne peut être un membre utile de la société, à moins que ses talents ne soient employés d’une façon utile à l’avantage général. Dans toute société, le produit, c’est-à-dire les moyens de contribuer aux besoins et aux convenances de ses membres, est d’une quantité déterminée. Que peut-il y avoir de plus désirable et de plus juste que de voir ce produit lui-même réparti, selon quelque degré d’égalité, entre tous. Quoi de plus injurieux que l’accumulation en un petit nombre de mains des superfluités et des moyens de luxe avec la suppression totale du bien être, de la subsistance