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courants, les combinaisons infinies des pensées et des forces. Mais Godwin ne veut pas que cette méthode de sagesse puisse être interprétée comme un lâche reniement du progrès humain, et des dures conditions que trop souvent y met l’histoire. L’expérience démontre que les révolutions ont été presque toujours accompagnées de circonstances pénibles. Elle démontre aussi que les révolutions ont été nécessaires au progrès humain.

« Après tout, on ne peut oublier que si révolution et violence ne sont pas en connexion nécessaire, la révolution et la violence ont été trop souvent contemporaines des grands changements du système social (revolution and violence have too often been coeval with important changes of the social system) Ce qui s’est si souvent produit dans le passé peut sans doute, à l’occasion, se reproduire dans l’avenir. Le devoir donc des véritables hommes politiques est de retarder les révolutions quand ils ne peuvent les empêcher. Il est raisonnable de croire que plus tard elles se produisent, et plus les vraies notions politiques sont comprises, moindres sont les inconvénients attachés à la révolution. L’ami du bonheur humain doit essayer de prévenir la violence, mais ce serait la marque d’un tempérament faible et valétudinaire de détourner ses yeux avec dégoût des affaires humaines, et de ne pas contribuer de nos efforts et de notre attention à la félicité générale, parce que, peut-être, à la fin, la violence interviendra. C’est notre devoir de tirer le meilleur parti possible des circonstances qui peuvent naître, et de ne pas nous retirer parce que la marche des choses ne s’accorde pas entièrement avec notre idée des convenances. Les hommes qui s’irritent contre la corruption et s’impatientent de l’injustice, et qui, par cet état d’esprit, favorisent les fauteurs de révolution, ont une noble excuse à leurs erreurs : c’est qu’elles sont l’excès d’un sentiment vertueux. »

Noble combinaison de prudence politique, de sagesse scientifique et de générosité humaine. Godwin se refuse à désavouer l’ardeur révolutionnaire de la France, tout en recommandant à l’Angleterre une autre méthode.

En dehors des raisons générales qu’il a déduites. Godwin a deux raisons particulières de ne pas aimer les révolutions. Il n’aime pas les gouvernements. Tout gouvernement lui paraît un mal, et on peut dire de lui qu’il est le premier grand théoricien « libertaire ». Il croit que dans une société mieux organisée et mieux éduquée, la force contraignante et le châtiment deviendront inutiles. C’est une libre et universelle entente qui assurera la marche de la société, et les gouvernements devenus inutiles s’évanouiront d’eux-mêmes parce que l’opinion, où est toute leur force, se sera peu à peu retirée d’eux.

« Tout gouvernement ne peut durer sans confiance, et cette confiance au gouvernement ne peut exister sans ignorance. Les vrais soutiens d’un gouvernement sont les faibles et les incultes, non les sages. À proportion que la faiblesse et l’ignorance diminueront, la base du gouvernement sera réduite.