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L’audace de ce manifeste meurtrier était grande, et il démontre que la Commune de septembre avait de vastes espérances. Elle brise, en fait, la Législative, et se dresse comme la véritable autorité nationale. Elle cherche à susciter une immense fédération de communes révolutionnaires, agissant sur le modèle de celle de Paris, et elle leur promet, pour ménager les amours-propres, qu’aussitôt la Révolution sauvée, Paris se perdra dans la multitude des communes. Enfin, elle essaie de pousser les autres villes, les autres communes à des massacres comme ceux de Paris, pour créer entre elles l’indestructible lien d’une solidarité sanglante. C’est bien un gouvernement qui s’affirme. S’il avait été écouté, les élections se seraient faites sous une sorte de terreur démocratique et patriotique, et la Gironde visée par Robespierre, au lieu de ne succomber qu’en mai 1793 aurait succombé en septembre 1792.

Mais ce plan si hardi, si net, se brisa sur trois obstacles. D’abord, loin que la contagion du meurtre s’étendît, il y eut presque partout horreur du sang versé. Le massacre des prisonniers d’Orléans tués à Versailles quelques jours après n’est qu’une dernière vague sanglante de la triste houle presque partout apaisée. Il est bien vrai que les journaux de la Gironde n’osent d’abord protester que faiblement contre les violences du 2 et du 3. Condorcet lui-même n’appuie pas et demande seulement qu’on détourne le peuple « de l’effervescence des vengeances domestiques », pour le diriger vers des objets bien plus grands, bien plus importants. Mais si le blâme de ceux que les massacres affligent ou révoltent est discret et comme voilé, il y a embarras et malaise chez ceux même qui les approuvent. Le journal de Prudhomme, les Révolutions de Paris, les raconte dans son numéro du 1er au 8, sous le titre : La justice du peuple.

Il les explique et les justifie par le complot présumé des prisons : « À un signal convenu, toutes les prisons de Paris devaient s’ouvrir à la même heure, les détenus étaient armés en sortant avec les fusils et autres instruments guerriers que nous avons laissé le temps aux aristocrates de cacher en publiant plusieurs jours d’avance une visite domiciliaire ; les cachots de la Force étaient garnis de munitions à cet effet… Ces bandes de démons en liberté, grossies de tous les aristocrates tapis au fond de leurs hôtels depuis la Saint-Laurent (10 août), sous le commandement des officiers traîtres envoyés à l’Abbaye, commençaient par s’emparer des postes principaux et de leurs canons. »

Voilà les premières rumeurs. Voici maintenant le massacre : « Le peuple les attendait à la porte (les détenus) pour les immoler à la vindicte publique. L’exécution faite, on poussait le cri de Vive la nation ! comme pour faire entendre qu’un peuple libre, ainsi que le corps humain, doit sa santé politique au retranchement de ses membres gangrenés. Le sang coulait, et chacun de ceux qui avaient des armes semblaient se disputer l’honneur de concourir à ce grand acte de justice… Les députés ne purent