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une souffrance qui apporte avec elle sa consolation… C’est le propre de la vérité d’être sans crainte et de prouver à tout adversaire sa force victorieuse. »

C’est un beau et calme défi aux fureurs de la réaction anglaise. Mais, dans la passion de la vérité combattue, Godwin ne s’engage pas au delà de la ligne qu’il s’est tracée. C’est surtout aux maîtres de la pensée du xviiie siècle qu’il se rattache, à d’Holbach, à Helvétius, à Rousseau, et en outre à Locke. Or, quelles que soient les différences de conception de ces hommes, ils se rencontrent tous en un point : la puissance souveraine de l’éducation. Godwin est l’adversaire de toute doctrine d’innéité ; c’est le milieu qui forme l’homme ; le prétendu libre arbitre est un leurre et, s’il existait, serait un péril, parce qu’il livrerait les individus humains au hasard de décisions arbitraires ; les actions des hommes ont leur source dans leurs opinions, et leurs opinions sont l’effet des circonstances où ils vivent. De là une extraordinaire plasticité de la nature humaine, et l’espérance d’un progrès indéfini de l’humanité, puisqu’il suffira de créer un milieu politique et social toujours plus sain et plus harmonieux pour que toutes les facultés humaines se développent avec une puissance croissante et dans un ordre croissant.

De là aussi une conception égalitaire : car l’action de ce milieu pouvant s’exercer également sur tout homme, tout régime de caste et de privilège devient un non-sens : on peut raisonnablement attendre de tous les individus un développement sensiblement égal. En tout cas, il n’est pas possible de savoir d’avance en quel groupe d’hommes sont les germes les plus excellents : les hautes facultés intellectuelles et morales sont disséminées à travers la diversité infinie des conditions et des tempéraments, et il faut permettre à tous les hommes de grandir librement pour s’assurer qu’aucun germe d’intelligence et de vertu ne sera contrarié.

Voilà l’impulsion générale que Godwin a reçue du sensualisme anglais et du matérialisme français et qu’il transmettra à Robert Owen. Ce n’est donc pas la Révolution française qui a formé le fond premier des idées de Godwin, et, à dire vrai, l’influence de d’Holbach, d’Helvétius et, en général, du matérialisme français était moins forte sur l’ensemble des révolutionnaires français que sur Godwin lui-même. Mais la Révolution de France eut sur Godwin deux effets très précis, et qu’il a très nettement marqués lui-même.

D’abord, elle lui a manifesté la vertu de la démocratie. Il a compris que la simplicité du gouvernement démocratique pur (opposé aux combinaisons et aux complications des gouvernements mixtes) était le milieu le plus large et le plus sain à toutes les initiatives et activités individuelles. Il avait bien jusque-là considéré la monarchie comme un gouvernement corrompu, mais on devine qu’il se demandait si le gouvernement de tous