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les plus expresses réserves personnelles, d’une pétition d’habitants de Sheffield. Elle émanait de marchands et artisans (tradesmen). « Considérant que la Chambre des communes n’est pas dans le juste sens des mots que vos pétitionnaires sont obligés d’employer pour des raisons de forme « les Communes de la Grande-Bretagne assemblées en Parlement », puisqu’elles ne sont pas librement élues par la majorité du peuple entier (by a majority of the whole people), mais par une très petite portion de ce peuple, et que, à raison de la façon partiale dont ses membres sont envoyés au Parlement et de la longueur de la législature, ils ne sont pas les représentants réels, sincères et indépendants du peuple entier (they are not the real, fair and independent representatives of the whole people of Great Britain)… Vos pétitionnaires sont amis de la paix, de la liberté et de la justice. Ils sont, en général, des commerçants et des artisans (tradesmen and artificers), qui ne possèdent pas de tenure libre, et qui conséquemment n’ont point de suffrage pour le choix des membres du Parlement ; mais quoiqu’ils ne soient pas des tenanciers libres, ils sont des hommes, et ils ne croient pas qu’on a agi correctement avec eux en les excluant du droit des citoyens. Leur enjeu vaut celui des « freeholders », et qu’il soit petit ou grand, peu importe ; puisqu’ils payent le plein des taxes réclamées d’eux et qu’ils sont des membres paisibles et loyaux de la société, ils ne voient pas de raison pourquoi ils ne seraient point consultés sur les intérêts communs du pays commun. Ils croient que ce sont les hommes qui sont représentés, non la terre d’un tenancier libre ou la maison d’un marchand du bourg.

« Ce n’est pas surtout à cause des lourdes et fâcheuses taxes qui pèsent sur eux que vos pétitionnaires demandent une réforme des abus, qui sont trop notoires pour être niés par les hommes les plus prévenus : c’est au moins autant pour l’emploi qui est fait de cet argent que pour cet argent même. Ils aiment leur pays et ils veulent contribuer d’une partie de leur dernier shilling à le soutenir, s’ils sont assurés que chaque shilling est bien dépensé. Ils demandent donc la correction des abus puisqu’ils sont convaincus que de là dépendent la paix, le bonheur et la prospérité de leur pays. »

Comme pour la pétition de Nottingham, la majorité de la Chambre jugea que celle-ci était « indécente et irrespectueuse » et, malgré les efforts de Fox qui répéta « qu’il n’y avait pas dans le royaume d’ennemi plus constant et plus décidé de la représentation générale et universelle qu’il ne l’était lui-même », mais que le droit de pétition devait s’exercer très largement, la Chambre, par 20 voix contre 108, refusa de discuter la pétition de Sheffield.

Ainsi la démocratie pure, le suffrage universel n’avaient pas un seul défenseur à la chambre des Communes. Et pourtant l’idée de suffrage universel était beaucoup plus présente, beaucoup plus active qu’avant la Révolution française.

Quand, le 2 mai, après le rejet de la pétition de Sheffield, Grey se leva