Page:Jaurès - Histoire socialiste, III.djvu/820

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Le socialiste anglais Hyndman croit qu’il y eut là une crise décisive. Il croit que l’effort de réaction et de compression auquel Pitt se livra, dès la fin de 1792, et jusqu’à sa mort, a écrasé pour une longue suite de générations les germes les plus vigoureux de démocratie. Il croit que cette défaite de la Révolution continue à peser sur toute l’histoire anglaise, que si la démocratie n’y a pas abouti à des formes logiques, si le prolétariat n’a pas su s’y constituer un pouvoir politique distinct, c’est parce que les énergies admirables qui s’éveillèrent à la fin du xviiie siècle sous l’exemple de la Révolution française furent anéanties. Il me semble que Hyndman exagère les effets de cette crise. La démocratie ne fut pas éliminée d’Angleterre ; mais elle comprit qu’elle ne s’y introduirait et ne s’y acclimaterait qu’en ménageant les habitudes du génie anglais, ses méthodes d’évolution et d’adaptation. Le magnifique mouvement chartiste prouve que les énergies de démocratie ne furent pas refoulées pour longtemps par Pitt et ses collaborateurs. Et l’extension lente, mais pour ainsi dire continue, du droit de suffrage a assuré, par des moyens conformes à la Constitution anglaise, la victoire des démocrates de 1792 et de 1793.

Ce qui me frappe au contraire, ce qui atteste que l’idée de démocratie suscitée par la Révolution française et mêlée par elle à la vie anglaise ne pouvait plus être retranchée de cette vie, c’est que même après la première série des mesures violentes de réaction prises par le ministère anglais à la fin de 1792 et au commencement de 1793, même après la déclaration de guerre, la question de la réforme parlementaire et du droit électoral se pose avec une ampleur qu’elle n’avait jamais eue jusque-là.

C’est en effet la revendication explicite du suffrage universel qui commence à se produire. Le 21 février. Smith lit une pétition signée de 2500 habitants de Nottingham où il est dit « qu’avec la Constitution actuelle en ce qui touche la représentation au Parlement, on amuse le pays avec le nom de représentation du peuple, alors que la chose n’est pas ; que le droit d’élection a cessé d’appartenir au peuple, et que par là la confiance du peuple au Parlement est affaiblie, sinon détruite ». La pétition, par suite, prie la Chambre « de considérer le mode convenable d’effectuer une réforme dans le Parlement, et elle suggère, comme base d’un plan général de réformes que le droit électoral soit en proportion du nombre des adultes mâles dans le royaume ».

Fox se déclara tout à fait opposé au fond de la pétition, c’est-à-dire au suffrage universel : « La demande d’admettre tous les adultes au droit de vote me paraît aussi pleinement extravagante qu’à l’honorable gentleman » ; mais il maintint que les pétitionnaires avaient le droit de formuler cette revendication. Pitt la fit écarter, sans débat, comme injurieuse pour la Chambre. 21 voix seulement contre 109 admirent la discussion.

Le 2 mai 1793, M. Duncombe donne lecture aux Communes, tout en faisant