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les Brabançons, je le prédis, nous embarrasseront, nous entraveront, nous nuiront même par la suite beaucoup plus qu’ils ne nous serviront.

« Nous faisons donc, j’ai le courage de le dire lorsque tout le monde approuve ou se tait, une guerre de dupes. Nous nous affichons, en pure perte, les Don Quichotte du genre humain, et loin d’obtenir de la reconnaissance, nous ne multiplierons que les mécontents, les ingrats et nos ennemis.

« Convenons, malgré notre « pouvoir révolutionnaire », notre forfanterie gigantesque, qu’il est tel despote dont nous aurions cependant besoin. Combien Sélim III, par exemple, ne nous servirait-il pas, s’il lui plaisait de faire l’utile diversion qu’il peut opérer. Il tiendrait à la fois les deux cours impériales en échec…

« Pour la réussite de notre système, il faudrait que la presque totalité des humains ne se trouvât pas sous la férule des prêtres et des nobles, qu’elle entendit notre idiome, que les gouvernements ne corrompissent point les sources de l’instruction… etc., etc. »

Oui, paroles amères et désenchantées, paroles excessives aussi et injustes. Car, à la fanfaronnade et à la forfanterie, il se mêlait certainement une large part de générosité ; car ce n’est pas en vain que la Révolution a passionné dans le monde les plus hauts esprits et remué çà et là des portions dormantes des multitudes humaines. Ce prodigieux ébranlement, s’il n’a point réalisé partout la démocratie, lui a ouvert partout et préparé les voies de l’avenir. D’ailleurs, c’est pour ajourner indéfiniment le jugement du roi que Barailon s’efforçait de faire peur à la Convention, et cet ajournement, qui n’eût pas mis un terme aux luttes fratricides des factions, aurait été une cause nouvelle de faiblesse. Mais quel malheur que les chefs de parti, Brissot, Robespierre, Danton, n’aient pu s’accorder pour mesurer les périls effroyables au devant desquels allait la Révolution !

Oui, il est vrai que la propagande universelle pour la liberté était parfois le déguisement de l’instinct criminel de domination. Oui, il est vrai que l’orgueil de Louis XIV était passé dans les veines du peuple souverain qui devait le transmettre à Napoléon. Oui, il est vrai que cet orgueil colossal suscitait des illusions colossales, et que la France révolutionnaire s’était promis des peuples un trop facile enthousiasme et un trop sympathique accueil. Oui, il est vrai qu’un gigantesque héroïsme était gâté par une « forfanterie gigantesque », et que la liberté était perdue si la France ne resserrait pas efforts, ne tendait point vers la paix. Mais les partis qui s’insultaient et se dévoraient avaient vraiment d’autres soucis.

Ainsi, c’est à une Angleterre hostile, comme à une Allemagne hostile, comme à une Suisse hostile que la Révolution va se heurter. Ce n’est point à dire que l’action de la Révolution sur l’Angleterre ait été vaine. Elle y souleva un moment de si hautes vagues que tous les pouvoirs établis prirent peur.