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« Ne calculons donc que sur nos armées et sur nos finances, et sachons d’avance que nous rencontrerons les couteaux des Francofurtois et les faux des Niçards des montagnes.

« L’on compte sur le peuple anglais ; mais son gouvernement, qui nous exècre, le maîtrise encore. La partie la plus éclairée est, à la vérité, pour nous ; et c’est au plus le cent cinquantième du tout. Croit-on, de bonne foi, que les prêtres, les nobles qui alimentent nos émigrés, que la multitude qui a appris à nous détester dès son enfance, soient tout à coup devenus nos amis ? Ce serait un grand prodige.

« Nos nombreuses victoires, nos rapides succès nous étourdissent sur l’avenir. Sans prévoir que la fortune est inconstante, que nous pouvons être accablés par le nombre, l’on ne s’en persuade pas moins qu’à notre voix toutes les nations vont embrasser notre système tyrannicide et changer la forme de leur gouvernement.

« Mais que l’on se désabuse : les hommes puissants y ont pourvu. Partout, l’on représente les Français comme des anthropophages qui se dévorent entre eux. Il est si facile d’en imposer aux ignorants, et les ignorants composent malheureusement la presque totalité du genre humain. C’est en vain que nous exaltons notre liberté ; les gens de bien des autres États l’ont en horreur ; il n’en est pas un seul qui ne préférât le séjour de Constantinople à celui de Paris. Tels sont cependant les effets de quelques erreurs de notre part, et de l’atrocité des méchants.

« Pourrions-nous désabuser les hommes trop crédules, leur faire entendre la vérité !

« Voulez-vous des preuves de ce que j’avance, en voici : Examinez ce petit nombre de déserteurs prussiens et autrichiens qui vous arrive malgré l’appât, très attrayant sans doute, que vous leur avez offert.

« Voyez les habitants de Porentruy formant un État distinct et très circonscrit à côté du vôtre.

« Considérez les différents partis qui se manifestent en Belgique, et leur tendance à former une république particulière.

« Écoutez les cris des Brabançons en faveur de leurs nobles et de leurs prêtres.

« Entendez enfin la ville de Francfort se pavaner, en face de la Convention, d’être libre et impériale.

« Certainement, il n’est pas un seul peuple mécontent de son gouvernement, et ils le sont tous, qui ne voulût être délivré, pas un qui ne désire notre secours, notre appui ; et malgré cela, il ne s’en trouvera guère qui penseront comme nous.

« Tous aimeraient à profiter de nos travaux, de notre or, de notre sang, aucun ne voudrait partager nos dépenses, nos périls. Les Belges eux-mêmes,