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erreur était le plus grave, c’est lorsqu’il disait que Pitt ne voulait pas sérieusement la guerre, que les préparatifs n’étaient qu’une parade pour effrayer la France. Sans doute Pitt ne cherchait pas la guerre, il préférait la paix ; mais les embarras qu’il pouvait avoir en Écosse, en Irlande et en Angleterre même, n’étaient pas assez grands pour l’empêcher d’envisager sérieusement l’hypothèse de la guerre. Et en se flattant qu’il n’y avait là qu’une démonstration un peu vaine. Kersaint se dispensait et il dispensait la Convention de chercher passionnément le moyen de conjurer ce suprême péril. Du moins avertissait-il loyalement la France que toute la propagande révolutionnaire en Angleterre était restée à peu près inefficace : « Je ne puis vous dissimuler que, si Pitt est conduit à la guerre, il disposera de sa nation. »

Brissot, lui aussi, quoiqu’il connût les choses anglaises mieux que la plupart des Conventionnels, n’avait pas regardé le problème en face. Il avait vécu au jour le jour, avec un optimisme très superficiel. La décision du ministère anglais, suspendant après le Dix-Août tout rapport diplomatique officiel avec la France, aurait dû l’avertir cependant qu’il y avait là une situation difficile et qui demandait les ménagements les plus délicats. Dans le rapport qu’il présente le 12 janvier 1793, au nom du Comité de défense général, sur les dispositions du gouvernement britannique envers la France et sur les mesures à prendre, il y a un exposé qui serait un singulier aveu d’ignorance s’il n’était surtout une tentative pour excuser une trop longue insouciance et des imprudences répétées :

« Telle était la disposition du cabinet britannique vers la fin du mois de novembre, que toutes les difficultés s’aplanissaient insensiblement. Lord Grenville commençait à reconnaître le gouvernement de la France, qu’il avait d’abord intitulé : Gouvernement de Paris. On jouait bien quelquefois le scrupule sur le caractère de notre agent, on affectait de ne pas se dire autorisé, tandis qu’on provoquait et donnait des explications. Une seule difficulté semblait arrêter les négociations. Le Conseil exécutif de France voulait négocier par un ambassadeur accrédité ; le ministère anglais désirait que ce fût par un agent secret, et même il ne tenait pas bien fermement à cette querelle d’étiquette, si l’on en juge par quelques paroles de lord Grenville, qui attestait à votre ambassadeur que les formes n’arrêteraient jamais le roi d’Angleterre lorsqu’il s’agirait d’obtenir des déclarations rassurantes et profitables pour les deux parties.

« Pitt, de son côté, ne témoignait, au commencement de décembre, que le désir d’éviter la guerre et d’en avoir le témoignage du ministère français ; il regrettait que l’interruption de correspondance entre les deux cabinets produisit des malentendus.

« Le Conseil exécutif, d’après ces protestations, avait le droit d’espérer que des tracasseries n’entraîneraient point la guerre entre la France et l’Angleterre ; il ne savait pas que des dispositions apparentes pour la paix