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« George III, par passion, veut la guerre ; Fox veut entraîner le ministère dans de fausses démarches et le contraindre à défendre les abus du gouvernement. » Comment Pitt sortira-t-il de cet embarras ? Comment échappera-t-il à la fois à la révolution et à la guerre ? Comment donnera-t-il satisfaction, en quelque mesure, aux passions haineuses du roi et aux instincts conservateurs des classes dirigeantes, sans se jeter dans une aventure ? C’est ici que Kersaint fait une hypothèse tout arbitraire : « Pitt espère sortir de ce mauvais pas en offrant sa médiation aux puissances belligérantes. » Et c’est pour imposer cette médiation, pour obliger surtout la France à l’accepter, qu’il fait semblant de vouloir la guerre. Il croit que la France fatiguée cédera.

« Pitt a pour lui la force du gouvernement, dont toutes les branches sont entre les mains de ses créatures ; il a pour lui la théorie de la corruption, son éloquence et la clef de la trésorerie. Nos transfuges et l’aristocratie qui l’environnent le poussent aux deux partis qu’il paraît avoir embrassés, savoir : de nous arrêter dans le cours rapide de nos victoires sur terre, par la crainte d’une guerre maritime, et de nous amener à des accommodements avec nos ennemis à l’aide de sa médiation… Une négociation en faveur des émigrés mixtes, j’entends ceux qui n’ont pas pris les armes, est aussi dans les vues de Pitt. »

C’est en effet une hypothèse arbitraire : car il n’y a aucun fait, aucun acte qui permette de supposer que Pitt voulait intervenir en ce sens. Ou il voulait la paix, et il savait bien que la France n’accepterait pas la moindre immixtion de l’étranger dans sa politique intérieure ; ou il était résolu à la guerre, et il avait tout intérêt à lui donner un autre caractère que celui que lui avaient donné la Prusse et l’Autriche. Il voulait se prévaloir jusqu’au bout de la sagesse avec laquelle l’Angleterre s’était abstenue de toute ingérence dans les affaires françaises, et donner à la France révolutionnaire le rôle de provocatrice. C’est ce qui ressort encore de la réponse adressée le 31 décembre par lord Grenville à une communication de Chauvelin. Il se plaint du fameux décret du 19 novembre qui « annonce aux séditieux de toutes les nations quels sont les cas dans lesquels ils peuvent compter d’avance sur l’appui et le secours de la France, et qui réserve à la France le droit de s’ingérer dans nos affaires intérieures, au moment où elle le jugera à propos, et d’après des principes incompatibles avec les institutions politiques de tous les pays de l’Europe. Personne ne peut se dissimuler combien une pareille déclaration est propre à encourager partout le désordre et la révolte. Personne n’ignore combien il est contraire au respect que les nations indépendantes se doivent réciproquement, ni combien elle répugne aux principes que le roi a suivis de son côté, en s’abstenant toujours de se mêler, de quelque manière que ce fût, de l’intérieur de la France. »

Ainsi, Kersaint se trompait sur la politique de Pitt ; mais là où son