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personnages dont la vertu civique expirait au moment où elle commençait à contrarier leurs spéculations ambitieuses. Alors la nation semblait divisée en deux partis, les royalistes et les défenseurs de la cause populaire. Aujourd’hui, que l’ennemi commun est terrassé, vous verrez ceux que l’on confondait sous le nom de patriotes se diviser nécessairement en deux classes. Les uns voudraient constituer la république pour eux-mêmes, et les autres pour le peuple, suivant la nature des motifs qui avaient jusque-là excité leur zèle révolutionnaire. Les premiers s’appliqueront à modifier la forme du gouvernement suivant les principes aristocratiques et l’intérêt des riches et des fonctionnaires publics ; les autres chercheront à la fonder sur les principes de l’égalité et de l’intérêt général. Vous verrez le parti des premiers se grossir de tous ceux qui avaient arboré l’enseigne du royalisme, de tous les mauvais citoyens, quelque rôle qu’ils aient joué jusque-là ; celui des autres sera réduit aux hommes de bonne foi qui cherchaient dans la révolution la liberté de leur pays et le bonheur de l’humanité. Les intrigants déclareront à ceux-ci une guerre plus cruelle que la Cour et l’aristocratie elle-même. Ils chercheront à les perdre par les mêmes manœuvres et par les mêmes calomnies, d’autant plus redoutables qu’ils voudront s’emparer de toutes les places et de toute l’autorité du gouvernement. Que serait-ce s’ils employaient tous les moyens à corrompre ou à égarer l’opinion publique ?

« L’opinion publique aujourd’hui ne peut plus reconnaître les ennemis de la liberté aux traits prononcés du royalisme et de l’aristocratie, il faut qu’elle les saisisse sous les traits plus délicats de l’incivisme et de l’intrigue. Elle ne pourrait que se tromper ou flotter dans une funeste incertitude, si elle cherchait encore à classer les hommes d’après les anciennes dénominations. Il n’existe plus que deux partis dans la république : celui des bons et des mauvais citoyens, c’est-à-dire celui du peuple français, et celui des hommes ambitieux et cupides. »

Ainsi Robespierre ne veut plus qu’on s’attarde aux classifications anciennes, et même lorsque les Jacobins ont proposé aux électeurs comme un bloc tous ceux qui avaient voté la mise en accusation de Lafayette, ils ont adopté une méthode de classement surannée. Parmi les patriotes, il y a deux classes, ceux qui en abolissant la royauté voulaient faire place au peuple, ceux qui voulaient faire place à eux-mêmes. Et ceux-là sont les plus dangereux ennemis de la nation, les mauvais citoyens. Avec cette conception si nette, si tranchante, et que Robespierre ne craint pas de formuler aux derniers jours de septembre, comment n’aurait-il pas essayé au début du mois et quand des événements formidables semblaient lui en donner le moyen de détruire la puissance girondine ? C’est donc très délibérément et par un système profond qu’il dirigeait contre La Gironde dès le soir du 2 septembre la force désordonnée de la Commune révolutionnaire. Robespierre était d’accord avec Marat, à cette date, pour mettre les Girondins au même plan que les