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l’accompagneront, cette prépondérance qu’on lui dispute même au sein de la paix ? C’est un fait connu en Angleterre et qu’une foule d’exemples a changé en axiome politique, que le ministère qui déclare la guerre ne la voit jamais finir. Pitt voit dans la guerre le terme de son autorité. Pitt ne veut donc pas la guerre… »

Et encore :

« Pitt est sage et habile : il veut préserver son administration des embarras inséparables d’une révolution, et sans doute qu’il espère y parvenir en accélérant le retour de la paix en Europe. »

Ainsi, selon Kersaint, non seulement Pitt ne veut pas jeter l’Angleterre dans la guerre, mais il désire le rétablissement de la paix générale. Seulement, il a à compter avec de grandes forces sociales qui poussent à la guerre : c’est l’aristocratie foncière et épiscopale d’un côté, l’aristocratie d’argent de l’autre :

« L’aristocratie bourgeoise et financière se trouve en Angleterre dans une proportion beaucoup plus grande qu’elle n’était en France lors de la Révolution de 1789 ; ces hommes sont aujourd’hui les auxiliaires de la cour et du Parlement, et font un grand bruit de nos désordres, de notre anarchie, de notre faiblesse et des malheurs de ces journées que nous voudrions pouvoir effacer de notre histoire ; ils en épouvantent les gens de la campagne, et le clergé britannique, les épiscopaux emploient l’hypocrisie qui leur est propre et leur crédit sur l’esprit du peuple, pour effacer l’impression produite par nos succès et l’évidence des vérités que nous avons proclamées. »

En sorte que le jour où le gouvernement le voudra, c’est toute la nation anglaise qui se lèvera fanatisée pour la guerre. « Mais le peuple anglais proprement dit est-il dans des dispositions hostiles à notre égard, et son gouvernement pourra t-il en disposer à volonté pour nous faire une guerre injuste ? Je dois le dire, les habitants de Londres et des villes principales d’Angleterre sont travaillés, en ce moment, avec une perfide adresse, afin de les exciter à la guerre. »

Ainsi, tandis que les niais du Journal de Prudhomme repoussaient toute idée de négociation avec Pitt et voulaient une entente directe avec « le peuple », comme si le peuple était organisé, comme s’il était indemne des passions chauvines et rétrogrades, Kersaint constatait que le peuple anglais, à la moindre impulsion du pouvoir, se précipiterait dans la guerre, et il voyait en Pitt le seul ami de la paix. Kersaint va jusqu’à regretter que Fox ajoute aux difficultés entre lesquelles Pitt se débat. Puisque Fox n’osait pas poser nettement les principes de la démocratie, il ferait mieux de se taire, de ne pas harceler le ministère. En le pressant, en l’interrogeant, il l’oblige ou à désavouer les abus de la Constitution anglaise et à surexciter ainsi les passions réactionnaires des classes dirigeantes, ou à se solidariser avec ces abus qu’en des temps plus calmes il réformerait.