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« Non, non, il n’en sera pas ainsi, si l’Angleterre doit être l’amie de la France, il faut qu’elle soit république comme elle. Il n’est pas de nation en Europe à qui, par ses mœurs et sa position, le régime démocratique soit plus propre. Elle sera donc une république. Après dix-huit siècles d’injustice et de tyrannie, on verra donc deux peuples voisins, que la détestable politique des cours avait longtemps rendus ennemis, réunis à la fin pour faire triompher sur tout le globe la cause de l’humanité, de la liberté. Français ! quel exemple vous avez donné ! Il est donc vrai que l’arrêt de mort de tous les tyrans est dans l’acte qui vous constitue républicains. »

Quelle épaisseur de sottise et de fanfaronnade ! Quelle ignorance des mœurs et du développement des autres peuples ! Songez que cela est écrit en décembre 1792, qu’à ce moment la France est engagée en Belgique, en Allemagne, en Italie ; que, malgré ses victoires elle se heurte partout à des difficultés et à des défiances. Songez qu’il y a un intérêt de premier ordre pour elle, et pour la Révolution elle-même, à ne pas épuiser dans une lutte sans fin ses ressources, son crédit et sa liberté même. Songez que la neutralité bienveillante ou l’alliance de l’Angleterre permettrait à la Révolution de dissoudre vite ces coalitions qui la menacent, de retrouver la paix, et, avec la paix, la détente des passions et des haines qui surexcitaient la Gironde et la Montagne. Il fallait faire un effort immense pour obtenir cette neutralité de l’Angleterre, et voici qu’un des grands journaux, le plus pédant de tous, l’éternel donneur de conseils, somme l’Angleterre de devenir république ! Il ne lui suffit pas qu’elle réforme sa Constitution dans le sens de la démocratie. Il faut encore qu’elle ait sa journée du 10 août, qu’elle soit de point en point la plagiaire de la France. Ces fanfarons stupides s’émeuvent à la pensée qu’un accord pourrait intervenir entre Pitt et Fox ; or cet accord ne pourrait signifier qu’une chose : c’est que Pitt, sentant grandir dans une partie du pays, et à la Cour même, la politique de guerre, s’unirait à Fox pour y mieux résister. Dans cette hypothèse. Fox et Pitt auraient certainement rétabli les relations officielles avec la France, cherché un moyen d’entente avec elle. Ils lui auraient sans doute demandé d’interpréter dans un sens pacifique le décret inquiétant du 19 novembre et de renoncer à toute invasion en Hollande.

La paix, et l’extension du droit de suffrage, cela ne suffit pas aux sentencieux rédacteurs du journal de Prudhomme. Et ils vont à la guerre contre l’Angleterre avec une inconscience et une infatuation qui épouvantent. Le journal récidive, sous le titre : Suite de la Révolution anglaise, dans le numéro du 15 au 22 décembre. Il annonce que la Cour d’Angleterre fait des préparatifs de guerre, et il déclare sans hésiter que la guerre sera le signal d’un soulèvement universel en Irlande, en Écosse et à Londres. Et, répondant à la partie du message où George III dit : « J’ai conservé avec soin une stricte neutralité dans la guerre actuelle du continent, et me suis interdit toute intervention dans les affaires intérieures de la France ». Il écrit :