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« La marche du ministère avait été très astucieuse. Les succès de la France l’inquiétaient sur le sort de l’aristocratie qui domine en Angleterre à l’ombre de la royauté. Il craignait qu’un exemple aussi séduisant n’y trouvât enfin des imitateurs, et, pour l’éviter, il fallait brouiller les deux nations, populariser cette guerre, faire détester les nouveaux républicains par les Anglais mêmes qui se faisaient gloire de les estimer.

« Comment parvenir à ce point ? La route était simple. Un peuple déjà vieux et dont une grande partie est aisée, doit tenir à sa Constitution, parce que là est son repos, là sont ses jouissances. C’était là aussi que devait toucher le ministère. Il n’est pas d’Anglais qui ne soit convaincu que la Constitution anglaise a beaucoup de défauts, que la corruption du gouvernement est sans bornes ; mais chacun voulait la réforme sans convulsion, et si l’on touchait à la Constitution, pouvait-on éviter des convulsions ? Qui pouvait calculer les calamités qu’elle entraînerait ? La terreur de ces calamités glaçait presque tous les esprits ; elle les glaçait d’autant plus qu’on leur exagérait les inconvénients de la Révolution française, que les émigrés leur en faisaient des tableaux hideux, que le ministre anglais prenait un soin particulier à noircir tous ces tableaux.

« Dans cette disposition des esprits, il suffisait au ministère de sonner le tocsin sur l’anarchie, et de crier que la Constitution était en danger ; car, à ce mot de Constitution en danger, l’homme en place craignait pour ses appointements, le noble pour ses titres, le prêtre pour sa superstition, le propriétaire pour sa terre, l’ouvrier pour son pain ; dès lors, la conspiration contre toute révolution devenait nécessairement universelle. »

C’est ainsi que la foule brûlait l’effigie de Paine dans la plupart des villes et des plus importants villages du Northumberland et du Durham. C’est ainsi que la maison du grand savant Priestley était mise à feu et saccagée. Francis disait amèrement à la Chambre des communes le 15 décembre :

« Suis-je libre dans cette discussion ? Si j’hésite, si je balance entre la guerre et la paix, si je délibère avant de prononcer, mon intégrité sera-t-elle aussitôt contestée, et ma loyauté suspecte ? »

Le vent d’orage emportait les paroles de Fox.

D’ailleurs sa politique de modération et de conciliation était bafouée en France comme en Angleterre. Je ne suis point surpris de trouver ce jugement sévère dans le journal les Révolutions de Paris (numéro du 1er au 6 décembre) ; car le grave journal croit que la Révolution va éclater en Angleterre, et naturellement, il n’a que du dédain pour ceux qui, comme Fox, se contenteraient d’une réforme.

« Commencement de révolution en Angleterre… Oui, le peuple anglais deviendra libre. Est-il permis d’en douter, puisqu’il veut être notre ami ? Pour devenir libre, il lui faut une révolution, eh bien ! il la fera ! Les symptômes en sont déjà sur tous les visages et la volonté dans tous les cœurs. En